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La lutte sans fin des papous : conflits et revendications territoriales en Nouvelle-Guinée Occidentale

       Vendredi 6 octobre dernier, à l’Université Saint-Charles d’Aix-Marseille, divers acteurs – militants, étudiants, doctorants ou chercheurs du CREDO (Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie) – se sont rassemblés pour tenter de répondre aux interrogations qui pèsent quant au conflit de Nouvelle-Guinée Occidentale. La séance s’est ouverte par les membres de l’Association kanak de Marseille qui ont déclarés « s’unir à leurs frères mélanésiens » pour défendre les droits du peuple papou. Tous espèrent que cette première manifestation sera le tremplin pour de prochaines rencontres et évènements.

        Peu de gens savent de quoi le peuple papou souffre depuis plus de cinquante ans et pour cause, le conflit n’est ni couvert par les médias ni pris en compte aux Nations-Unies. Le mois dernier, le Comité Spécial des Vingt-Quatre, chargé de veiller sur l’autonomisation des pays colonisés a rejeté une pétition présentée par Benny Wenda1, signée par 1,8 millions de Papous demandant leur indépendance.

    Regardons en arrière pour tenter de comprendre l’histoire de ce peuple, dépossédé de sa terre natale, « située dans le plus grand et le plus oublié océan du monde ».2

Carte Soizic

Carte de la Nouvelle-Guinée. © CASOAR

          Une longue période de colonisation et de christianisation commence dès le XVII ème siècle. L’île de la Nouvelle-Guinée est disputée par les grandes compagnies de commerces britanniques, hollandaises et allemandes. Chacune étant soucieuse d’obtenir son morceau de territoire, cet Eldorado de 800 000 km2 est partagé en 1848. Les Néerlandais déclarent leur souveraineté sur la partie occidentale, délimitée par le 141ème méridien.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le contexte est favorable aux revendications indépendantistes. C’est ainsi que Sukarno déclare l’indépendance de la République d’Indonésie en août 1945 et en devient le président. OPEX (1958), le programme prometteur, est lancé par Dag Hammaraskjöld, secrétaire général aux Nations-Unies qui se montre très engagé aux côtés des pays décolonisés. Ce programme, malheureusement jamais mis en application – Hammaraskjöld meurt d’un accident orchestré par la CIA en 1961 – était chargé de donner aux pays les moyens de leur propre développement. Suite aux prises d’indépendances, de nombreux pays africains et asiatiques obtiennent leur place aux Nations-Unies et défendent la « résolution 1514 », adoptée par l’Assemblée générale en décembre 1960. Elle garantit le droit de libre détermination des peuples et demande de prendre des mesures et d’accompagner les peuples non autonomes et encore sous tutelle. Les Pays-Bas entament une politique d’autonomisation de la Nouvelle-Guinée Occidentale où des élections sont tenues. Un conseil élu entre en fonction le 5 avril 1961. Le 1er décembre 1961, le drapeau national papou, l’Etoile du Matin, est hissé aux côtés du drapeau néerlandais. Les symboles nationaux papous (hymne, nom, drapeau) sont reconnus par les Pays-Bas.

         Seulement, l’Indonésie semble en avoir décidé autrement. Pour attiser le sentiment nationaliste avec une prétendue campagne d’unification de son archipel, Sukarno envoie ses troupes le 24 avril 1961 en Nouvelle-Guinée Occidentale pour la « libérer» du joug néerlandais. Suite à des négociations secrètes tenues entre l’Indonésie et les Pays-Bas sous pression états-unienne, les accords de New York du 15 août 1962 légitimisent le transfert de souveraineté sans consultation de la population papoue.
Par sa position géostratégique, l’Indonésie constitue en effet un enjeu de la Guerre Froide. De plus, l’entreprise américaine Freeport Sulphur a évalué les potentialités minières du sol de Nouvelle-Guinée Occidentale. Les Etats-Unis s’inquiètent donc de voir le président indonésien pencher pour le bloc soviétique. Sukarno avait déjà échappé à une tentative d’assassinat de la CIA avant de se rende pour la première fois en URSS en 1958. La CIA contacte cette fois Suharto, commandant des Forces Opérationnelles en charge de la Nouvelle-Guinée occidentale… Celui-ci accède au pouvoir en septembre 1965 par un coup d’état et l’Indonésie bascule dans le camp occidental. Les Etats-Unis peuvent maintenant accéder aux ressources sans encombrements. L’« Ordre Nouveau » de Suharto interdit le parti communiste indonésien et traque ses partisans. Quant à la question de la Nouvelle-Guinée Occidentale, un référendum d’autodétermination est organisé en 1969 par le régime pour confirmer la tutelle indonésienne : une sélection de 1026 papous, sous pression, sont contraints de voter en faveur du colonisateur. Philippe Pataud-Célérier3 raconte le témoignage d’un papou dont la Grand-mère avait été appelée à voter, « pistolet sur la tempe ».

          Comment expliquer aujourd’hui que le monde entier ferme les yeux sur l’oppression violente des papous et de leur territoire ?

     En Nouvelle – Guinée Occidentale, l’exploitation de minerais bat son plein. La multinationale américaine Freeport-Mc Moran est toujours sur place. Elle détient ainsi la plus grosse mine d’or et la troisième de cuivre au monde. Le site du Mont Grasberg rapporte presque 80 % des revenus de l’entreprise. Par ailleurs, le gouvernement indonésien, propriétaire de 9 % de la filiale Freeport Indonesia bénéficie par-là de sa première rentrée d’argent.
Est-t-il nécessaire de souligner le paradoxe entre la richesse produite en Nouvelle-Guinée Occidentale et la pauvreté des populations locales ? Seriez-vous surpris d’apprendre que les ouvriers travaillent dans des conditions éreintantes, entre 3000 et 4000 m d’altitude, pour seulement 1,4 dollar de l’heure ?
Ainsi, même si le mont Grasberg – point culminant de l’Océanie, perçu traditionnellement comme la « mère nourricière » des populations qui y habitaient – est surexploité au point d’être aujourd’hui entièrement arasé, personne ne peut arrêter la folie de ce géant minier soutenu par le gouvernement et son armée. Quotidiennement, près de 200 000 tonnes de déchets sont émises et les rejets toxiques contaminent les rivières et les sols. Victime d’un écocide, en proie aux investisseurs privés, le territoire a été pour un quart déforesté depuis 1980. Dans la province de Merauke, un groupe de multinationales défriche la forêt tropicale pour permettre des cultures d’exportations de palmiers à huile, soja ou canne à sucre. Depuis 2010, ils ont converti un million d’hectares.4

            Les ONG et les journalistes ont beaucoup de mal à pénétrer en Papouasie, fermée aux contacts extérieurs. Nos données parviennent d’organisations militantes sur place qui, en travaillant avec des ONG parviennent à produire des rapports. Facebook et les réseaux sociaux jouent tout autant un rôle central pour la diffusion des informations. Non sans peine, les papous commencent à pouvoir avertir le monde de leur situation. Les leaders encouragent les témoignages des victimes, qui entre 1960 et 1990 n’osaient même pas parler de leurs oppressions.
Léonie Tanggahma5 rapporte que les violations des Droits de l’Homme sont devenues la norme : « Tous les mois, les soldats viennent et tirent dans le tas ». Les forces de l’ordre interviennent au moindre incident et abusent de leur rôle anti-insurrectionnel. Depuis 1962, on estime le nombre de morts à 100 000. Emprisonnements, tortures, viols, assassinats s’exécutent à répétition dans les villages mis à feu et à sang par l’armée. Les rassemblements sont bien évidemment matés avec cruauté à l’instar du troisième Congrès du peuple de Papouasie en 2011. Hisser le drapeau papou, comme avait osé le faire Filep Karma, symbole de la lutte indépendantiste, c’est risquer une peine de quinze ans de prison.
Les Papous commencent à être minoritaires sur leurs terres natales. A ce rythme, ils ne représenteront plus que 15% de la population en 2030, contre 48% aujourd’hui et 96% en 1971.

         Pour tenter de sortir de ce silence, plusieurs organisations se sont formées dont l’OPM (Organisasi Papua Merdeka) en 1965 qui dispose d’une branche militaire armée de 1000 papous et d’une branche politique tournée vers la discussion. L’ULMWP (United Liberation Movement for West Papua) travaille depuis 2014 à unifier les papous divisés en plusieurs centaines d’ethnies. En parvenant à parler d’une même voix, la Nouvelle-Guinée Occidentale sera plus forte pour obtenir son admission dans l’organisation politique régionale du Groupe Mélanésien Fer de Lance6 et se faire entendre sur la scène internationale.

           Si le cri des Papous est étouffé par le déni onusien et le négationnisme indonésien, ce conflit parle cependant de la menace de disparition d’un peuple. Individus, observateurs impuissants de ce désastre, il nous subsiste le pouvoir de relayer l’appel des papous de Nouvelle-Guinée Occidentale.

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Free West Papua Campaign, facebook.com
© www.freewestpapua.org

Soizic Le Cornec

Image à la une : © www.philippepataudcélérier.com

1 Benny Wenda est un leader indépendantiste, il est le porte-parole de l’ULMWP (United Liberation Movement for West Papua) et a représenté plusieurs fois le peuple papou sur la scène internationale. Exilé politique, il vit au Royaume-Uni.

D’après WAMO Paul, ALERTE GENOCIDE PAPOUASIE OCCIDENTALE, Youtube.com 2017. (Voir https://www.youtube.com/watch?v=09TMEDK7_JU ).

Philippe Pataud-Célérier est journaliste au Monde Diplomatique. Il a particulièrement publié sur le conflit de la Papouasie Occidentale.

D’après Papouasie occidentale, un conflit oublié , septembre 2017, émission « Le dessous des cartes », Arte.

5 Leonie Tanggahma défend les droits de son peuple depuis les Pays-Bas où elle vit aujourd’hui avec une communauté de papous exilés.

6 Le Groupe Mélanésien Fer de Lance (GMFL) est une alliance politique regroupant les pays mélanésiens (îles Salomon, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Vanuatu, Fidji et le Front de libération nationale kanak et socialiste). L’ULMWP a été accepté en membre observateur depuis juin 2015, au même titre que l’Indonésie.

Bibliographie

  • Présentation de Leonie Tanggahma et de Philippe Pataud Célérier, Université Saint-Charles, Marseille, 6 octobre 2017.
  • SOS Papouasie, page Facebook. Dernière consultation le 23 octobre 2017.
  • Free West Papua Campaign, page Facebook. Dernière consultation le 23 octobre 2017.

  • Freewestpapua.org. Dernière consultation le 16 octobre 2017.

  • WAMO P., ALERTE GENOCIDE PAPOUASIE OCCIDENTALE. Youtube, 2017.
  • « UN commitee rejects West Papua independence petition ». In Radio New Zealand, 30 septembre 2017.
  • « Papouasie occidentale, un conflit oublié ». In émission Le Dessous des Cartes, Arte, septembre 2017.

  • PATAUD CÉLÉRIER P. « Les Papous minoritaires en Papouasie ». In Le Monde Diplomatique, Février 2015.

  • PATAUD CÉLÉRIER P. « Grèves, répression et manipulations en Papouasie occidentale ». In Le Monde Diplomatique, 1er mars 2012.

  • PATAUD CÉLÉRIER P. « En Papouasie, la grève oubliée des mineurs ». In Le Monde Diplomatique, Octobre 2011.

  • « Appel à enquête sur une vidéo choquante de Papous torturés », In Survival International, 20 octobre 2010.

  • « Indonésie, le calvaire sans fin du peuple papou ». In Le Monde Diplomatique, 25 octobre 2010.

  • FAURE D. « La guérilla oubliée des Papous ». In Le Monde Diplomatique, Août 2002.

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