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« Anciennes collections, nouvelles obligations » : la réunion annuelle de la Pacific Arts Association

      Il y a deux semaines, CASOAR faisait le mur pour se rendre à la réunion annuelle de la Pacific Arts Association Europe au Musée d’Ethnographie de Genève (MEG). Compte rendu d’une escapade studieuse.

      La Pacific Arts Association (PAA) est une association internationale fondée en 1974 et « dédiée à l’étude de tous les arts d’Océanie ».1 Elle rassemble notamment en son sein des chercheurs océanistes et des conservateurs de musées d’ethnographie du monde entier. Ce mois de novembre, c’est la section européenne de l’association qui se réunissait à Genève, l’occasion d’organiser conférences, rencontres de professionnels et visites de différentes institutions muséales de la région.

     Le thème des discussions de cette année était particulièrement intéressant puisqu’il s’agissait d’interroger les nouvelles obligations et responsabilités des musées d’ethnographie vis-à-vis des communautés du Pacifique dont sont issus les objets qu’ils conservent. Quels dialogues et collaborations mettre en place ? Comment assurer l’accès de ces communautés à leur patrimoine ? Comment diffuser et valoriser ce dernier auprès d’un vaste public tout en demeurant respectueux des valeurs de leur société d’origine ? Autant de questions qui se posent aujourd’hui de façon accrue aux musées d’ethnographie.
Les deux journées d’interventions ont été l’occasion de constater les nombreuses façons dont les musées d’ethnographie peuvent mettre en place, ou ont déjà mis en œuvre, des collaborations fructueuses avec les populations du Pacifique. Maints exemples ont ainsi pu être présentés, qu’il s’agisse tout simplement de demander l’autorisation d’exposer certains objets particulièrement sensibles de par leur caractère rituel ou leur lien aux pratiques funéraires, de proposer à des artistes issus de ces communautés d’effectuer des résidences au sein des musées et de participer à la mise en place d’expositions sur leur propre culture ou encore de s’assurer du retour sur le terrain de photographies des objets et des publications du musée.
La problématique du respect du droit de regard des populations du Pacifique sur la façon dont leur propre patrimoine, parfois spolié, est traité et présenté au sein des musées d’ethnographie apparaît comme particulièrement importante dans un contexte de décolonisation de l’anthropologie. Ce droit de regard a notamment été rappelé par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones de 20062. Cette déclaration traite également de la question de la restitution de ce patrimoine, question qui a été abordée au cours des discussions de la PAA.
Ce que ces deux journées de conférences ont surtout permis de mettre en évidence, c’est que ces collaborations avec les populations du Pacifique représentent une chance pour les musées d’ethnographie. Outre la nécessité pour eux d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis des populations dont ils conservent une partie du patrimoine, les musées bénéficient généralement grandement de ces démarches. En effet, travailler avec les communautés sources permet parfois d’améliorer la connaissance des objets conservés mais également de bénéficier d’un autre regard sur eux et sur leur histoire. Ultimement, ce dialogue contribue à la volonté des musées d’ethnographie de promouvoir une ouverture vers l’autre.

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Introduction de l’exposition « L’Effet Boomerang » au MEG.
© Alice Bernadac

      L’exposition « L’effet Boomerang », organisée par le MEG et consacrée aux arts des Aborigènes d’Australie et des populations du détroit de Torrès, offre un bon exemple de ce que peut apporter ce type de collaboration aux musées. Dans le cadre des diverses visites organisées par la PAA Europe, l’équipe de CASOAR a en effet eu la chance de pouvoir découvrir cette très belle exposition et vous conseille d’ailleurs d’y courir bien vite si vous avez l’occasion de passer par Genève d’ici le 7 janvier.
Les trois parties de l’exposition permettaient de présenter à la fois des œuvres anciennes et contemporaines, abordant non seulement la question du Grand Silence – cet effort concerté pour nier l’histoire et l’existence des populations natives australiennes et pour tenter de les assimiler – mais également celle de l’histoire des collections du MEG. Dans le cadre de sa résidence au musée, l’artiste Brook Andrew, d’origine aborigène, a conçu deux installations pour cette exposition. La première, située dans la seconde salle de l’exposition consacrée à l’histoire des collections, offre au public une autre version de l’histoire de ces objets. Sur de grands panneaux de bois, se déploient inscriptions, affiches, cartes postales et autres visuels collectés par l’artiste qui visent à introduire le désordre dans la salle de musée et à raconter l’histoire du point de vue aborigène. Des étagères réalisées par l’artiste et agrémentées de commentaires de sa main se sont également glissées dans les vitrines comme une critique de la façon dont les objets du Pacifique sont exposés en Europe.
La seconde installation se trouve à la sortie de l’exposition et c’est cette fois toute une pièce que l’artiste s’est approprié et qui contient notamment quatre interviews d’aborigènes interrogés par Andrew sur leur rapport aux objets. Ces deux installations offrent donc un autre regard sur les œuvres exposées et la façon dont elles sont présentées au sein du musée, un regard qui pourrait, peut-être, permettre de décentrer le nôtre et de construire une vision de l’histoire moins ethnocentrée.

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La rédaction déambulant dans la première installation de Brook Andrews.
© Alice Bernadac

      En plus de cette exposition, la rédaction a également été traîner du côté des salles permanentes du MEG. En effet, le musée a rouvert ses portes au printemps dernier, dans un nouveau bâtiment et avec donc un tout nouveau parcours permanent intitulé « Les Archives de la Diversité Humaine ». Le résultat est aussi réussis que le titre le laisse présager. On notera notamment la présence d’une très intéressante section consacrée à l’ethnomusicologie qui vous permettra de profiter de la riche collection d’enregistrements du MEG au moyen de casques fournis en salle et même de vos propres écouteurs.

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La présentation ethnomusicologique du MEG. © Alice Bernadac

     L’espace principal est classiquement divisé par région (Asie, Amériques, Europe, Afrique, Océanie). Cependant, rien ne vient particulièrement souligner cette séparation, ni cloison, ni marquage au sol et le visiteur est laissé libre de déambuler à son gré, passant de l’art bouddhique à la plumasserie amérindienne pour finir ses pérégrinations devant une collection de pains rituels de Sardaigne. Cette perméabilité est particulièrement appréciable bien que la disposition choisie place l’Europe au centre du monde. On notera également la présentation au sein d’un même espace de collections ethnographiques européennes et extra-européennes, deux ensembles qui se trouvent séparés dans de très nombreux musées. Les vitrines quant-à-elles sont majoritairement thématiques, accompagnées de textes discrets mais bien présents qui ont permis à la rédaction de ne jamais rester sur sa faim du point de vue de la remise en contexte et de l’utilisation des objets.
La médiation est beaucoup plus visible dans la première pièce où des objets de tous les continents se croisent sur une unique grande table centrale. De vastes panneaux dédiés à l’histoire des collections ethnographiques occupent un mur entier de la salle, rappelant ainsi qu’un des enjeux majeurs pour les musées consiste aujourd’hui à interroger l’histoire des regards qui ont présidés à la constitution de leurs collections, collections qui ne sont jamais neutres.
On ajoutera que les collections en question sont bien évidemment somptueuses.

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La première salle de l’exposition permanente du MEG. © Alice Bernadac

       Comme la rédaction a décidément été très chanceuse, un autre musée genevois a ouvert ses portes à la PAA. Le prestigieux musée Barbier-Mueller, qui conserve un très bel et très riche ensemble d’objets du Pacifique, présente en effet jusqu’au 25 février une exposition intitulée « 6000 ans de réceptacles, la vaisselle des siècles » et imaginée par l’écrivain et poète Michel Butor. Nous avons pu la visiter tout à loisir en dehors des horaires d’ouverture. La centaine de récipients provenant aussi bien d’Afrique ou des Amériques que d’Asie ou d’Océanie comptait également quelques pièces contemporaines et était accompagnée de poèmes de Michel Butor, inspirés par chacun des objets. C’est ce regard poétique que l’exposition invite à découvrir, plus que la fonction et le contexte d’origine des œuvres, bien que le personnel du musée ait eu à cœur de répondre à nos interrogations dans ce domaine.

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Plat fidjien daveniyaqona accompagné d’un poème de Michel Butor à l’exposition  « 6000 ans de réceptacles, la vaisselle des siècles » du musée Barbier-Mueller. © Alice Bernadac

      C’est à Neuchâtel que les escapades de la PAA se sont poursuivies, au sein du musée d’ethnographie qui vient à peine de rouvrir ses portes avec une nouvelle exposition permanente qui a très vivement intéressée la rédaction tant est si bien qu’elle a décidé d’y consacrer un article entier. En attendant, voici une petite photo pour vous faire patienter.

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Un échantillon de la nouvelle présentation permanente
du musée d’ethnographie de Neuchâtel. © Alice Bernadac

     Aux termes de ces trois journées bien remplies, la PAA a terminé son voyage à Lausanne, au palais de Rumine. Cet imposant bâtiment de la fin du XIXe siècle abrite en effet plusieurs musées dont le musée cantonal des beaux-arts, le musée cantonal de géologie ainsi que le musée cantonal d’archéologie et d’histoire mais également la bibliothèque de l’université. Jusqu’au 28 janvier 2018, l’ensemble du bâtiment abrite un important ensemble d’oeuvres de l’artiste chinois Ai Weiwei pour une exposition intitulée « D’Ailleurs c’est toujours les Autres ». Puisque l’Océanie n’est pas une passion exclusive, la rédaction a pu profiter d’une visite guidée d’une partie des installations disséminées dans le bâtiment de façon à entrer en dialogue avec les collections des différents musées. Au détour d’une vitrine, nous avons tout de même croisé un visage familier en la personne d’un merveilleux Strigops kakapo.

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Hall d’entrée du palais de Rumine à Lausanne avec l’affiche de l’exposition
« D’ailleurs c’est toujours les Autres » d’Ai Weiwei. © Alice Bernadac

      Des étoiles pleins les yeux après ces trois intenses journées, la rédaction ne regrette donc en rien les trésors d’organisation qu’il lui a fallu déployer pour se rendre jusqu’à Genève. Afin de conclure enfin ce (trop long) compte rendu, nous aimerions formuler quelques remerciements, tout d’abord à toute l’équipe de la PAA Europe qui a organisé cet événement et au MEG qui nous a royalement accueillis durant ces quelques jours, ainsi qu’à toutes les institutions qui nous ont ouvert leurs portes et à tous les conservateurs qui ont bien voulu nous faire visiter leurs réserves. Enfin, un grand merci à tous les grands crocodiles pour nous avoir reçus de façon chaleureuse et bienveillante, nous donnant l’envie, pourquoi pas, de revenir l’année prochaine.

Alice Bernadac

Image à la une : Vue sur le lac depuis l’entrée du musée d’ethnographie de Neuchâtel avec dans le jardin un très beau tambour dressé de l’île d’Ambrym (Vanuatu) © Alice Bernadac

Pour plus de photographies rendez-vous sur notre instagram ! => https://www.instagram.com/casoarleblog/ 

https://www.facebook.com/pg/pacificartsassociation/about/?ref=page_internal

La Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones est consultable ici : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/61/295

Liens et ouvrages utiles :

 

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