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Politique écologique : les îles Palau montrent la voie

« Par dessus tout, les peuples de Micronésie partagent une compréhension commune de notre unité avec la terre et de nos liens avec nos voisins. Nous sommes engagés envers nos îles, nos peuples, et notre héritage culturel. »1

      Voilà un peu plus d’un mois que la France apprenait le départ de son célèbre ministre de l’écologie, Nicolas Hulot, qui désignait l’inaction du gouvernement et son manque de pouvoir face à la catastrophe environnementale en cours comme source d’un grand malaise et motifs de sa démission2. Quelques jours après cette annonce, une nouvelle actualité faisait la une des journaux : l’appel de 200 personnalités à sauver la planète, face au « plus grand défi de l’histoire de l’humanité ».3 Peu de temps après, le plaidoyer de son signataire et co-auteur Aurélien Barrau pour une politique écologique radicale déferlait sur les réseaux sociaux4, dans des vidéos partagées des milliers de fois et récoltant des commentaires favorables à la quasi-unanimité, fait remarquable.

      Le monde politique français est-il sur le point de se réveiller et de prendre les mesures nécessaires pour sauver ce qui reste à sauver ? Ce moment historique auquel nous assistons peut-être actuellement aura en tout cas déjà eu lieu ailleurs sur le globe. Aux antipodes de la torpeur politique française, à l’autre bout du monde, des mesures d’urgence ont déjà été prises par les gouvernements locaux.

     Nul besoin d’être un grand État pour montrer la voie aux puissances mondiales : citées comme des exemples à suivre lors de la mise en œuvre des Accords de Paris5, la République des Palau et la République des Fidji font pourtant parte des plus petits pays au monde, tant sur le plan géographique qu’au niveau de leur impact sur le réchauffement climatique. Les deux républiques insulaires ne prennent un effet qu’une part minime dans le pourcentage mondial des émissions de gaz à effet de serre : 0,01 % pour Fidji, et même moins de 0,01 % pour les Palau6 ! À titre comparatif, la France émet 1,34 %, l’Allemagne 2,56 % et les États-Unis 17,89 % des gaz à effet de serre. Bien loin de l’hybris qui s’est emparé d’une grande parte du monde, les petits États insulaires feront parte des rares à pouvoir plaider non coupables face à la catastrophe écologique en cours… Mais ils seront pourtant les premiers à souffrir des effets du réchauffement climatique7 ! Certaines îles, comme nous l’avions évoqué ici avec l’atoll de Takuu, subissent déjà au quotidien les conséquences de la montée des eaux, et risquent de voir l’ensemble de leurs terres passer sous le niveau de la mer dans les prochaines années.

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Des militants au sommet de Copenhague en 2009, venus supporter la délégation de Tuvalu,
© https://www.liberation.fr/terre/2009/12/09/tuvalu-l-archipel-qui-fait-des-vagues_598320

   Ces petits Etats insulaires, particulièrement vulnérables, se sont réunis en une organisation intergouvernementale, l’Alliance of Small Island States, qui réunit principalement des  petites îles du Pacifique et des Caraïbes, et veut ainsi amplifier la voix des îles face aux grandes puissances, sans toutefois toujours y parvenir. On se rappelle par exemple de la conférence de Copenhague en 2009, au cours de laquelle l’État du Tuvalu, en Polynésie, avait marqué les esprits en exigeant un plafond global pour la hausse des températures de 1,5°C et un cadre légal contraignant pour remplir cet objectif. Si l’intervention est restée mémorable et source d’exemple pour d’autres États insulaires8, la majorité a finalement fixé le plafond des températures à 2°C, n’a validé aucun cadre législatif visant à réduire réellement les émissions de gaz à effet de serre, et ignoré les appels au secours de la délégation de Tuvalu.

    Fort heureusement, les initiatives prises par les îles pour la sauvegarde de leurs environnements n’ont pas toutes été condamnées à l’échec, et certaines devraient inspirer les pays les plus puissants. À ce titre, les îles Palau font figure d’exemple. Casoar vous avait déjà parlé de la grande richesse culturelle de ces îles de Micronésie, mais cette destination est surtout connue par les touristes comme l’un des meilleurs sites de plongée au monde. L’île abrite en effet quelques 1300 espèces de poissons et 700 espèces de corail, l’une des plus grandes concentration de vie marine au monde. Ce paradis longtemps  resté  confidentiel  se  voit  aujourd’hui  être  mis  en  danger  par  son  succès-même : le nombre de visiteurs dans les Palau a augmenté de 70 % entre 2010 et 20169, et, bien que le tourisme constitue une source de revenue très importante pour les Palau, l’augmentation exponentielle du chiffre des visiteurs constitue un véritable danger pour l’île, surtout au regard du manque de conscience écologique de certains touristes. Les Palauan vivent en réalité avec une épée de Damocles suspendue au-dessus de leurs têtes, et les conséquences de la dégradation de l’environnement se font d’ailleurs déjà sentir. Les îles ont en effet subi deux cyclones en moins de deux ans, du jamais vu depuis vingt ans. Pire encore, étant directement liées au réchauffement de la planète, ces catastrophes naturelles risquent de devenir de plus en plus fréquentes10. Quant aux ressources naturelles dont se nourrissent majoritairement les habitants, elles sont elles aussi mises en danger par la pêche intensive et les pratiques illégales telles que la pêche à l’explosif.

    Bien que le XXIème siècle soit véritablement le siècle de l’urgence écologique, l’Océanie a pris très au sérieux les menaces sur son environnement de fanon relativement précoce comparée à d’autres zones géographiques. Dès 1976 est ainsi signée la Convention sur la protection de la nature dans le Pacifique Sud, ou convention d’Apia, qui reconnaît le danger subit par certains écosystèmes et souhaite mettre en place des réserves naturelles. Palau poursuit avec un acte fort en 1979 et inscrit la protection de l’environnement au sein de sa Constitution, décrétant celle-ci comme responsabilité de l’État même11. En 1981 est ensuite créée la Commission de Protection de la Qualité de l’Environnement, qui permet d’articuler protection de l’écosystème et développement économique et social de Palau12.

tommyremengesau

Tommy Remengesau au 4ème Forum des îles du Pacifique, Palau, en 2014.
©AFP Photo/Richard W.Brooks,
https://www.yahoo.com/news/pacifclleaderslclimatelclaimlentrelnatonsl2009212007.html

    Les choses s’accélèrent avec l’arrivée au pouvoir de Thomas Remengesau Jr. à partir de 2000. Conscient des défis auxquels son pays devrait faire face dans ce nouveau siècle, Remengesau mène une offensive écologique remarquable. Il lance ainsi le Micronesia Challenge en 2005, qui vise à préserver de plus de 20% des ressources terrestres et maritimes de la région, des objectifs surpassant de loin les recommandations des traités internationaux13. Bientôt rejoint par d’autres États de Micronésie, le challenge est ensuite repris en Mélanésie par les Îles Fidji, le Vanuatu et les îles Salomon, qui créent à leur tour des zones protégées dans l’Océan, et influence jusque dans les Caraïbes14. À contrario, poussé par les lobby de la pêche industrielle, on observe à Hawaii le mouvement inverse, avec un « droit à la pêche » adopté légalement, et qui rend extrêmement difficile l’instauration de lieux de préservation dans les zones maritimes alentours15.

    Confirmant sa position de leader en terme de protection des océans, Palau créé en 2009 le premier sanctuaire de requins au monde sur une surface similaire à la taille de la France, et appelle à interdire partout dans le monde la pêche aux requins, mettant ainsi un frein à une extermination de masse (un tiers des espèces de requins est actuellement menacé de disparition16). Une fois encore, cette initiative fait des émules, et de nombreux autres pays ont, à la suite de Palau, créé leurs propres sanctuaires de requins17.

      Et l’île ne s’arrête pas là : en inaugurant son sanctuaire marin en 2015, Palau créé une nouvelle fois un ambitieux projet. Le nouveau sanctuaire couvre 80% de la surface maritime de l’île, dans laquelle toute pêche est interdite, et seule la pêche traditionnelle est autorisée dans les 20% restant. À ceux qui trouveraient le projet trop contraignant, la réponse officielle est claire : l’économie de Palau est son environnement, et son environnement est son économie18. Limiter la pêche dans ses eaux, c’est aussi, au-delà de la mesure environnementale, légitimer une pratique traditionnelle, celle du bul. On désigne par ce terme l’arrêt de la pêche que les chefs déclarent lorsque certains signes, que savent détecter les Palauans les plus savants, montrent que la faune marine doit rester « au repos » un certains temps pour se reconstituer19. Cette reconnaissance des savoirs locaux et traditionnels comme réponse aux menaces contemporaines et universelles, c’est cela aussi qui est mis à l’honneur dans l’établissement de ce sanctuaire marin.

UkongAnastacio

Dessin de Ukong Anastacio, école primaire de Koror, 2ème place du concours de dessin organisé pour les écoles par le Sanctuaire Marin National de Palau
pour la semaine de la mer, 2016, 
© https://www.instagram.com/p/BMNp05vgdFP/0hl=/fr&ttakenlby=/palaunms

    Enfin, plus récemment, Palau s’est une nouvelle fois fait remarquer sur la scène internationale avec une première mondiale : à partir de 2017, tous les touristes qui désirent se rendre sur les îles se voient tamponner dans leur passeport le serment de Palau, qu’ils doivent signer avant de pouvoir pénétrer sur l’île. Le texte, écrit avec et au nom des enfants palauan, demande aux visiteurs de se comporter avec bienveillance envers l’environnement, en ne laissant aucune trace qui ne puisse être effacée. A ce sujet, le président déclare attendre « avec impatience le jour où les initiatives prises par Palau seront vues comme normales et relevant du bon sens. »20 Impatience partagée de ce côté-ci du globe, monsieur le Président.

Camille Graindorge

Image à la une :
Lagon sud des Îles Chelbacheb, inscrites depuis 2012 au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO. © Patrick Colin, whc.unesco.org/fr/documents/117510

1  Phrase issue du Micronesia Challenge Business Plan and Conservation Campaign,
source : http://www.glispa.org/commitments/11-commitments/34-micronesia-challenge
Version originale : « Above all, the peoples of Micronesia share a common understanding that we are one with our earth and connected to our neighbors. We are commited to our islands, our peoples, and our natural heritage. » Traduction Camille Graindorge

Hulot : « Je me surprends tous les jours me résigner, m’accommoder des petits pas », dans Libération, https://www.liberaton.fr/politques/2018/08/28/hulot-je-me-surprends-tous-les-joursa-me-resigner-a-m-accommoder-des-petts-pass1674943

Le Monde, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité : https://www.lemonde.fr/idees/artcle/2018/09/03/le-plus-grand-def-de-l-histoirede-l-humanite-l-appel-de-200-personnalites-pour-sauver-la-planetes5349380s3232.html

Brut, Interview d’Aurélien Barrau : « il faut des mesures radicales maintenant » : htps://www.facebook.com/brutofciel/videos/interview-daur%C3%A9lien-barrau-il-faut-desmesures-radicales-maintenant/326062241290143/  
Conférence Climax Aurélien Barrau : Harceler le politique face aux catastrophes https://www.youtube.com/watch?vRR7sMZiiSmmqgttR118s
Aurélien Barrau sur l’écologie à « C Politique », France 5 https://www.youtube.com/watch?vRMsyndRagixR

Conseil des ministres – La mise en oeuvre de l’Accord de Paris (Paris, 09 mars 2016) : https://basedoc.diplomate.gouv.fr/exl-php/utl/documents/accedesdocument.php 1538886357911

Pourcentage des émissions de gaz à effet de serre, dans l’article Accord de Paris sur le climat : https://fr.wikipedia.org/wiki/AccordsdesParisssurslesclimatccitesnote-ratpct-14

Les régions du Pacifique concernées en priorité par la montée des eaux sont les îles Cook, les États fédérés de Micronésie, Guam, Kiribati, les Marshall, les Samoa, Tonga, Tuvalu, et Palau. Source : https://journals.openediton.org/jso/3842

Courrier International, Copenhague 2009. Tuvalu secoue la conférence, https://www.courrierinternatonal.com/artcle/2009/12/14/tuvalu-secoue-la-conference

Sources : https://seazen.fr/fr/blog/un-eden-du-pacifiue-force-les-touristes-a-preterserment-a-l-environnement-n114

10 Propos de Marine Guezo, biologiste marin au Palau International Coral Reef Center https://www.20minutes.fr/planete/1424049-20140730-appel-detresse-iles-pacifque-face-amontee-eau

11 Voir Constitution de Palau : http://www.wipo.int/wipolex/en/text.jsp?flesidR200951

12 Pour en savoir plus, site officiel du gouvernement de Palau : http://www.palaugov.pw/eqpb

13 Site du Micronesia Challenge : http://www.micronesiachallenge.org/

14 New York Times, « Pacific Miracles », https://www.nytmes.com/2007/04/21/opinion/21sat2.html

15 Ibid.

16 WWF, « Le requin, espèce prioritaire »: https://www.wwf.fr/especes-prioritaires/requins

17 On peut ainsi citer les Maldives, les États Fédérés de Micronésie, les îles Marshall, les Kiribati, Samoa, la Nouvelle-Calédonie, les îles Cook, la Polynésie française, Honduras, les Bahamas, la République Dominicaine, les Îles Caiman, Bonaire, les Îles Vierges Britanniques, St Maarten et Saba. Source : Shark Sanctuaries Around the World, https://www.pewtrusts.org/en/researchand-analysis/fact-sheets/2016/03/shark-sanctuaries-around-the-world

18 Pristine Paradise Palau : https://www.pristneparadisepalau.com/natonal-marine-sanctuary/

19 Article de Thomas Remengesau Jr, Palau Chiefs Offer Wisdom in ‘Bul https://www.hufngtonpost.com/president-tommy-remengesau-jr-/palau-chiefs-ofer-wisdom-inbulsbs8168200.html?guccounterR1

20 Vidéo youtube BrutNature Pour visiter les îles Palaos, il faut d’abord prêter sermenthttps://www.youtube.com/watch?vRVQI-7AsGU9R

Bibliographie :

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