Defying Empire : troisième triennale d'art indigène d'Australie et du Détroit de Torres
L’exposition Defying Empire s’est déroulée du 26 mai au 10 septembre 2017 à la National Gallery of Australia, Canberra – Australie. C’est la troisième édition de la triennale d’art indigène national. Trente artistes y représentent la totalité des territoires et états de l’Australie et du Détroit de Torres.
La date d’ouverture coïncide avec le cinquantième anniversaire du référendum de 1967 qui a permis aux aborigènes et aux habitants du Détroit de Torres d’être reconnus comme citoyens australiens après deux siècles de négationnisme. En d’autres mots cela signifie que pour la première fois dans l’histoire de l’Australie, les aborigènes reçoivent les mêmes droits que les autres populations vivant sur le territoire australien.
C’est en 1770 que le Capitaine James Cook arrive à Sydney sur le HMB Endeavour et déclare alors le territoire nouvellement découvert comme terra nullius. En 1788 le Gouverneur Arthur Philip s’installe à Sydney au nom de la couronne britannique.
Aujourd’hui encore, le Royaume-Uni joue un rôle politique très important envers l’Australie qui est un pays du Commonwealth. Les pouvoirs de la reine ou du roi sont délégués au gouverneur général qui est nommé par la reine conformément à l’avis du premier ministre.
Bien que déclarée terra nullius par Cook, l’Australie a vu naître la culture aborigène, une des plus longues cultures continues au monde. C’est cette continuité qui est mise en avant à travers la triennale d’art indigène australien. L’art des indigènes d’Australie et du Détroit de Torres est ancré dans la tradition avec des techniques comme le tissage qui se perpétue depuis des générations, mais aussi dans l’innovation avec l’utilisation de matériaux et techniques nouvelles. La création et la promotion de cet art sont avant tout une mise en avant des cultures aborigènes et du Détroit de Torres et si pour certains son but est purement esthétique, elle joue, pour d’autres un rôle purement politique.
Jason Wing est un artiste d’origine chinoise et aborigène. Basé à Sydney, il a commencé comme artiste de rue mais a depuis étendu son art à la photographie, aux installations ou encore à la peinture. Trois de ses œuvres étaient présentes dans l’exposition Defying Empire : Captain James Crook, 2013 ; House Wigger, 2014 ; Battleground, 2017.
Son œuvre Captain James Crook est une façon indéniable de mettre en lumière l’histoire coloniale de l’Australie. Nous pouvons y voir un buste en bronze du capitaine James Cook cagoulé. Cette vision peu conventionnelle de Cook dénonce le rôle qu’il a joué dans l’invasion de l’Australie mais surtout les effets secondaires qui sont toujours ressentis aujourd’hui. En effet, Jason Wing explique « Quand j’étais au lycée, on m’a appris que l’Australie a été découverte par le Capitaine James Cook. Ce mensonge colonial est renforcé par une sculpture en bronze qui se trouve à Hyde Park, Sydney, un lieu de massacre. Gravés dans la pierre on trouve les mots « Captain James Cook Discovered Australia 1770 ». Je me sens physiquement malade chaque fois que je vois ce monument alors j’ai décidé de créer mon propre monument au Capitaine Cook. »1
Par cette notion de découverte attribuée au Capitaine Cook, c’est en effet comme si les millénaires de culture aborigènes étaient oubliés voire même effacés. Dans les cours d’histoire évoqués par Jason Wing on parle de cette année 1770 comme étant le début de l’histoire australienne mais aussi comme une simple découverte qui nie la réalité : « l’Australie a été volée par vol à main armée »2. C’est contre ce « mensonge colonial » que Jason Wing a souhaité réagir.
Lors d’une conférence à la National Gallery of Australia, Jason Wing explique que le bronze était pour lui indispensable afin que sa sculpture prenne la même dimension de mémorial que la sculpture qui se trouve à Hyde Park à Sydney par exemple. Il pare le capitaine James Cook d’une cagoule qui est utilisée pour cacher le visage et est généralement associée à la violence et aux activités illégales. Enfin, il donne ce nom de Captain James Crook – littéralement Capitaine James Escroc – afin que plus que son visage, son nom soit également marqué par les crimes qu’il a commis.
Cette œuvre est provocante et, suite à sa création, Jason Wing a reçu un grand nombre d’insultes et de menaces qui ont donné naissance à son œuvre House Wigger. Embossé dans du papier blanc on peut lire ces menaces et insultes que Jason Wing a reçu par centaines. Il définit House Wigger comme un photo instantanée de la progression de la société ou plutôt de sa non progression.
Mais lors de cette triennale, Jason Wing a également su proposer une œuvre plus axée sur l’aspect esthétique mais pas pour autant dénuée d’aspect politique : Battleground. Ce travail est basé sur de longues recherches et comparaisons de différents styles et formes de boucliers aborigènes. Traditionnellement, les motifs peints ou gravés dans les boucliers étaient des marqueurs culturels et territoriaux associés au propriétaire du bouclier.
Les boucliers de Wing sont quant à eux faits d’acier rouillé et sont décorés de marques d’arpentage (technique de mesure de la superficie des terres). Ces motifs font ici référence aux nombreuses mines que l’on peut trouver en Australie et surtout aux nombreux territoires qui sont détruits par cette activité. Assimiler la tradition et la confronter à l’industrie minière qui est une activité majeure de l’Australie montre comment l’artiste explore le monde sans pour autant oublier l’histoire et la terre de ses ancêtres.
Clémentine Debrosse
1 BAUM T., (ed.), 2017. Defying Empire. Canberra, National Gallery of Australia.
2 BAUM T., (ed.), 2017. Defying Empire. Canberra, National Gallery of Australia.
Bibliographie :
BAUM, T. (ed.), 2017. Defying Empire. Canberra, National Gallery of Australia.
Pour plus d’informations sur l’exposition et l’artiste : https://nga.gov.au/defyingempire/http://jasonwing.net