L’île de Pâques s’invite au Muséum de La Rochelle
Le Muséum d’Histoire Naturelle de La Rochelle accueille jusqu’au 6 septembre 2020 l’exposition « Ile de Pâques, le nombril du monde ? » conçue et exposée initialement au Muséum de Toulouse (30 juin 2018 – 30 juin 2019), sous les commissariats de Fabien Laty et Nicolas Cauwe. Le projet vise à replacer l’île dans sa vérité physique et culturelle et dépasser les représentations fantasmées, véhiculés par l’Occident depuis les témoignages des premiers voyageurs. CASOAR en visiteur a apprécié tout particulièrement la diversité des approches et des média pour servir ce propos tout à fait pertinent. Nous utilisons le terme « d’île de Pâques » dans cet article, conformément à l’exposition. Il faut savoir toutefois que les habitants lui reconnaissent le nom de Rapa Nui. Pour en savoir plus sur l’histoire de l’île, nous vous invitons à consulter le précédent article Rapa Nui : île de l’oubli ? .
En premier rapport avec l'exposition, la communication visuelle semble contredire les motivations scientifiques du contenu : sur l’affiche, trois moai monumentaux émergent de nulle part, un de face et deux de profil. À l’arrière-plan le bleu de la mer, et une vieille carte de l’île qui évoque les premiers voyages européens dans le Pacifique. Un bandeau de signes issus d’une tablette rongorongo1 renforce la représentation dramatique et énigmatique de l’île de Pâques. Une affiche qui donne donc à voir l’île dans ses stéréotypes les plus répandus, efficace pour une opération de communication. Heureusement, l’exposition n’en reste pas là ! L’affiche place le visiteur face à ses propres représentations mais l’invite peut-être à se poser la question de la vérité.
Le premier espace de l’exposition, La Chambre des Illusions, est dédié aux mythes forgés par l’imaginaire occidental sur l’île de Pâques. On plonge dans cet univers farfelu d’entrée de jeu pour l’évacuer ensuite, comme si le reste de l’exposition visait finalement à corriger les préjugés très fortement liés à l’île. Fruits d’une ignorance d’abord mais surtout d’un mépris envers une population que l’on jugeait incapable de réaliser ces impressionnants chef d’œuvres, les Européens ont prétendu expliquer aux moyens d’hypothèses souvent aberrantes, le fameux mystère qui entoure les moai. Certains ont imaginé que tous les monuments mégalithiques du monde (Stonehenge, les pyramides de Gizeh, les pyramides à degrés maya…) relèveraient d’une seule et unique civilisation disparue, d’autres ont attribué la création des moai aux extra-terrestres. Le linguiste amateur Guillaume de Hevesy propose une analogie entre les signes des tablettes rongorongo et ceux de la civilisation de la vallée de l’Indus. Dans cette première partie, les moai s’animent, ou sont entourés de soucoupes volantes et de super-héros : une diffusion de scènes tirées de films montrent les images populaires qui ont contribuées à forger nos représentations de l'île.
Dans l’espace suivant, en plus de plusieurs cartes et repères géographiques chiffrés, une grande carte confronte l’île d’Oléron et l’île de Pâques. On s'aperçoit alors qu'elles sont de superficie presqu'équivalente, et même que celle d'Oléron est légèrement supérieure. La comparaison peut surprendre : l’île est souvent perçue plus grande. Peut-être par son aura qui s’étend bien plus que ses petits 170 km2 ! Utiliser des références locales et bien connues pour le public rochelais permet plus facilement de se faire une représentation juste de l’île. Une belle vitrine dévoile des objets liés à la navigation ; écope, hameçon, poids de pêche… mis en contexte par un très beau dessin scientifique2 d’une scène à bord d’une pirogue de voyage. L’origine culturelle de l’île de Pâques est ici illustrée par son premier peuplement à la voile3. On y voit tous les éléments nécessaires au voyage et à l’implantation de la population : les noix de coco, les plants de tubercules, les cages avec les poules et les cochons etc... En juxtaposition avec une grande carte du peuplement de l’Océanie, un écran met en scène le mythe d’origine pascuan. Un joli clin d’œil qui montre l’importance des traditions orales dans la recherche archéologique de l’histoire du peuplement.
On pénètre ensuite dans l’espace principal de l’exposition où sont présentés les moai, les pétroglyphes, les tablettes rongorongo et la sculpture sur bois. Les amateurs de sciences naturelles trouveront leur intérêt avec un ensemble d’animaux naturalisés et la présentation de la faune et la flore pascuane tout comme les adeptes des chefs-d’œuvre pascuans avec la présentation de statuettes moai kavakava, de pendentifs tahonga, de massues cérémonielles et d’un pectoral reimiro. Nombre de ces sculptures sont faites à partir du bois de toromiro, arbuste endémique de l’île, apprécié et utilisé par les sculpteurs pour « la finesse de son grain, la dureté et la couleur sombre de son bois » ainsi que sa « patine couleur sang » qu’il acquiert en vieillissant4. Il nous est expliqué que cet arbuste emblématique de l’île a malheureusement disparu dans les années 1960 ayant souffert des changements climatiques et de l’agression anthropique du milieu. L’approche pluridisciplinaire de l’exposition est donc tout à fait intéressante dans le cas présent d'une production artistique fortement liée à son écosystème.
Gauche : Moai kavakava, exposition « Ile de Pâques, le Nombril du Monde ? », muséum La Rochelle, 2019-2020, © Photographie : Garance Nyssen. Droite : Animaux naturalisés, exposition « Ile de Pâques, le Nombril du Monde ? », muséum La Rochelle, 2019-2020, © Photographie : Garance Nyssen
Un exemplaire réduit du moai Hoa Hakananai’a du British Museum (qui mesure 10,8 mètres en réalité !) est présenté grâce au travail de numérisation d’IMA Solutions et d’usinage d’AR Sculpt. A partir des données issues du scan numérique, un robot articulé a taillé le moai dans un bloc de mousse polyuréthane. La mise en teinte s’est ensuite effectuée au Muséum de Toulouse. Le visiteur peut ainsi se figurer ce moai emblématique par son histoire singulière et la présence de signes liés au culte ultérieur du dieu Makemake5. Une installation audiovisuelle est projetée au dos et joue avec les motifs. Elle reprend l’histoire plurielle de la statue.
Sur un plateau pivotant, le pétroglyphe est exposé au moyen d'un dispositif efficace pour pousser l’œil du visiteur à observer : son dessin est reproduit à plat sur le cartel pour nous inviter à faire tourner la roche et déchiffrer la gravure. De manière générale, l'exposition sollicite les sens et l'implication du public : il est aussi possible de manipuler des fac-similés de tablettes rongorongo pour comprendre leur sens de lecture et les enfants sont invités à répondre à des devinettes et à ouvrir des petites fenêtres pour découvrir les réponses.
Dans la dernière partie de l’exposition, une frise chronologique illustrée place l’île de Pâques dans sa longue histoire, depuis son peuplement jusqu’à aujourd’hui. L’exposition s’achève en laissant la parole aux habitants, à travers des témoignages vidéo de Pascuans : une archéologue déplore que les statues font « oublier les humains », un champion de Va’a6 affirme sa fierté à représenter son île pour le mondial de Tahiti ou encore un directeur d’association milite pour la protection des ressources marines et la reconnection de la jeune population avec les savoirs ancestraux liés à la mer. Ecouter les revendications de ces habitants oubliés par le monde entier inscrit l’île dans une forte contemporanéité et extrait l'île de la vision atemporelle qui lui est souvent assignée.
Nous sommes loin de vous avoir tout dévoilé ! Pour ceux et celles qui seront de passage sur La Rochelle, vous aurez la chance de pouvoir visiter l’exposition jusqu’au 6 septembre prochain. Le parcours permanent vaut aussi le détour : pour en savoir plus sur le muséum, nous vous invitons à lire l'article de Marion Bertin ici.
Soizic Le Cornec
1Les tablettes rongorongo en bois sont couvertes de signes singuliers à l'île de Pâques. Si les signes sont bien évidemment porteurs de sens, on ne peut pas considérer qu'il s'agit là d'une écriture. Ces objets singuliers de l'île de Pâques étaient probablement des supports pour les conteurs.
2 Illustration de Camille Dégardin.
3 Les premiers habitants de l’île de Pâques sont arrivés à la voile vers 800, depuis l’actuelle Polynésie française.
4 CAWE N., DURANTHON F. and al., 2018.
5 Le culte du dieu Makemake intervient au milieu du XVIIème siècle, après l'abandon du culte des moai.
6 Pirogue polynésienne
Bibliographie :
CAWE N., DURANTHON F. and al., 2018, « Ile de Pâques, le nombril du monde ? », catalogue d'exposition, Toulouse, MUSEO éditions.
PIERRE, A. (dir), 2018, "L'île de Pâques", Paris, Actes Sud.