Le voyage autour du monde de George Nuku fait escale à Rochefort

Le mur rouge, lithographies de l’Atlas du voyage de l’Astrolabe retravaillées et cadres en polystyrène. © Photographie : Clémentine Débrosse

Je suis venu en France avec l'intention de poursuivre l'histoire.
D'une certaine manière, je sors littéralement des lithographies.
Je sors de l'image et je répète l'histoire ici à Rochefort.
Cependant, la différence est que maintenant le contexte a changé parce que tout cela fait partie de l'Histoire. Donc c’est au musée que le contexte se poursuit.
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Affiche de l’exposition de George Nuku « Voyage autour du monde, l’aventure maori de Dumont d’Urville ». Musée Hèbre à Rochefort jusqu’au 28 août 2021, visible en réalité virtuelle en ligne (lien à la fin de l’article).

Projet qui a vu le jour entre le musée Hèbre (Rochefort) et George Nuku il y a sept ans, l’exposition Voyage autour du monde, L’aventure maori de Dumont d’Urville devait initialement commencer le 7 novembre 2020. À cause de la pandémie de Covid-19, l’exposition a finalement ouvert ses portes le 19 mai 2021 et est visible jusqu’au 28 août de cette année.

Si la pandémie nous a privés des musées pendant 6 mois, George Nuku et l’équipe du musée Hèbre ont mis ce temps à contribution pour continuer à travailler sur l’exposition. L’ouverture de cette exposition sept mois plus tard que prévu aura permis à George Nuku de créer ce qu’il considère être le projet le plus abouti qu’il n’ait jamais réalisé.

C’est au deuxième étage du musée Hèbre que se trouve l’exposition qui se compose de deux salles. La première salle, le cabinet d’art graphique, montre les lithographies originales qui ont inspirées George Nuku pour cette exposition. Ces lithographies, au nombre de dix-sept, proviennent principalement du fonds Bouge du musée des Beaux-Arts de Chartres ; trois d’entre elles sont conservées à Rochefort (deux au musée Hèbre et une à la médiathèque de Rochefort). Ce sont pour certaines des planches de l’« Atlas historique » du voyage de l’Astrolabe (1826-1829), des planches de l’« Atlas de l’histoire » du voyage de la Coquille (1822-1825) ou des planches de l’« Atlas historique » du voyage de l’Uranie et de la Physicienne (1817-1820). D’autres ont été réalisées par Louis de Sainson (1800-après 1870), Louis Le Breton (1818-1866) ou encore Pierre-Adolphe Lesson (1805-1888).

Planches de l’« Atlas historique du voyage de l’Astrolabe (1826-1829). Lithographies, parfois aquarellées, Tastu, Paris, 1833. Musée des Beaux-Arts de Chartres, Fonds Bouge. © Photographie : Clémentine Débrosse

Pierre-Adolphe Lesson (1805-1888), Nouvelle-Zélande. Moko ou tête de chef embaumée. Profil. Encre et aquarelle. Représentation d’un des trois Mokomokaï collectés par René-Primevère Lesson à l’occasion du passage de la Coquille en Nouvelle-Zélande en avril 1824. Médiathèque de Rochefort, Fonds Lesson. © Photographie : Clémentine Débrosse

Les voyages de l’Uranie et de la Physicienne étaient sous le commandement de Louis de Freycinet, mais les voyages de la Coquille (qui fut par la suite renommée l’Astrolabe) et de l’Astrolabe étaient sous le commandement de Jules Dumont D’Urville. Quant à ces trois hommes mentionnés précédemment, ils ont tous fait partie du voyage de l’Astrolabe qui avait pour but de partir à la recherche des restes de l’expédition de La Pérouse de 1788.

Sur l’Astrolabe, Louis De Sainson était le dessinateur officiel, Louis Le Breton était aide-chirurgien, et Pierre-Adolphe Lesson, pharmacien et botaniste. À leur retour, ils participèrent tous les trois à la création des différents Atlas et volumes des voyages de l’Astrolabe et permirent, grâce aux lithographies réalisées à leur retour, de garder une trace des dessins réalisés tout au long de l’expédition.

Ce sont ces lithographies que George Nuku a découvertes il y a maintenant trente ans qui sont au cœur du projet d’exposition du musée Hèbre. Agrandies, re-colorisées, modifiées et imprimées en grand format, ces images pleines de réalisme permettent à George Nuku de créer ce lien entre passé et présent qui lui est si cher.

"Je recontextualise ces interactions passées à ma manière parce que je n'ai pas vécu il y a 200 ans. C’est maintenant que je vis ! Je veux donc amener le George de maintenant dans cette histoire. Je le fais en employant des techniques [...] et des matériaux modernes [...] pour invoquer le passé et l’intégrer à cette conversation contemporaine pour donner à l’ancien une dimension nouvelle.
Photocopier le passé ne m'intéresse pas vraiment, d’autres personnes le font. Mon travail consiste à faire vivre le passé en y injectant ma propre vie".
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Dans la deuxième salle qui est la plus grande, les lithographies prennent une grande place dans l’exposition. Elles sont complétées par de nombreux éléments en plexiglass et polystyrène sculptés par George Nuku ainsi que par des objets māori provenant des collections du musée Hèbre et du musée des Beaux-Arts de Chartres.

Sur chacun des murs de cette deuxième et principale salle d’exposition sont reproduites, en très grand format, les lithographies présentées dans la première salle, mais pas uniquement. Chacune de ces lithographies est encadrée, ou entourée par des sculptures en polystyrène qui reprennent des motifs traditionnels māori que l’on retrouve dans l’architecture, la sculpture ou encore les moko (l’art du tatouage māori est expliqué ici).

“Elles montrent un peuple qui n'a pas peur du monde occidental".3

Grand format et recolorisation d’une planche de l’« Atlas hitorique » du voyage de l’Astrolabe (1826-1829). Lithographie, parfois aquarellée, Tastu, Paris, 1833. Musée des Beaux-Arts de Chartres, Fonds Bouge. Sculptures en polystyrène cuivré de « La Création » et « Autoportrait en guerrier maori ». © Photographie : Clémentine Débrosse

De taille telle qu’on a l’impression de faire partie de l’image, cette lithographie montrent un haka effectué par des hommes et femmes māori de tous âges sur un bateau colonial. Les sculptures qui l’entourent représentent le dieu Tane et ses frères ainsi qu’une figure de guerrier – une sorte d’autoportrait de l’artiste – qui joue une fois encore sur le passé et le présent. Ce guerrier māori porte son moko et ses attributs habituels avec quelques ajouts : il porte des cartouches à la taille et sur le torse ainsi qu’un fusil à l’épaule qu’il présente comme une massue.

Lithographie bleue en grand format du voyage de l’Astrolabe (1826-1829). Cadres sculptés en polystyrène et « Wakapounamu » pirogue en plexiglass. © Photographie : Clémentine Débrosse

En pendant de cette scène, se trouve une autre lithographie qui, cette fois, montre deux scènes de lancement de waka (pirogue) dans l’océan devant lesquelles se trouve une pirogue en plexiglass qui fait écho à l’image.

Entre ces deux lithographies, respectivement bleues et jaunes, une autre lithographie traitée en négatif remplit le plus grand mur de l’exposition devant laquelle se trouvent trois vitrines en plexiglass qui représentent trois Māori : un homme, une femme et un autoportrait de George Nuku.

Gauche : Rangatira, homme tatoué, plexiglass. Centre : Hinepounamu, femme tatouée, plexiglass.  Droite : Auto-portrait, plexiglass. © Photographie : Clémentine Débrosse

Chacune de ces vitrines met en avant les moko des personnes représentées avec un moko « exagéré » pour la vitrine de la femme, comme le dit George Nuku lui-même. En effet, avec le revival du moko féminin, les femmes repoussent les frontières du tatouage féminin et créent de nouveaux codes.4

Gauche : Détail de la vitrine Rangatira, homme tatoué, plexiglass.5 Centre : Détail de la vitrine Hinepounamu, femme tatouée, plexiglass.6 Droite : Détail de la vitrine Auto-portrait, plexiglass.7 © Photographie : Clémentine Débrosse

Dans ces trois vitrines, les représentations māori portent des artefacts (pendentif, cape, boucle d’oreille, massue, boîte à trésors) qui proviennent des collections du musée Hèbre, du musée des Beaux-Arts de Chartres ou encore de collections privées. Ensemble, ces représentations et ces taonga (trésors) sont, pour George Nuku, ses ancêtres bien vivants.

Gauche : Portail et portrait féminin inspiré d’un dessin de Louis le breton. Droite : Louis Le Breton (1818-1866). N zel femme, portrait d’une femme de haut rang, portant un moko, Otago (Ōtākou). Avril 1840. Crayon. Musée des Beaux-Arts de Chartres, Fonds Bouge, Album Goupil, 2, 94. © Photographie : Clémentine Débrosse

Au centre de la salle se trouve un « portail » rétroéclairé qui est le portrait d’une femme Māori. Ornée d’un collier en dents de requins, cette sculpture est une réinterprétation personnelle faite par George Nuku du dessin initial réalisé par Louis le Breton lors du troisième voyage de Dumont d’Urville. En effet, Nuku fait le choix de représenter cette femme dans la fleur de l’âge plutôt qu’âgée. Ce portail, très contemporain dans sa technique de création, établit une fois encore ce lien entre passé et présent qu’affectionne Nuku.

Le mur rouge, lithographies de l’Atlas du voyage de l’Astrolabe retravaillées et cadres en polystyrène. © Photographie : Clémentine Débrosse

En effet, de l’autre côté de la salle, un mur rouge bordeaux n’est pas sans rappeler la salle d’exposition de peinture européenne du musée Hèbre. Il était d’usage (et est parfois toujours d’usage), dans les musées européens d’exposer la peinture européenne sur des murs foncés, dans des cadres dorés imposants arrangés en accrochage type « salon ». C’est cette tradition d’accrochage que George Nuku a voulu évoquer par ce mur de lithographies présentées dans des cadres en polystyrène doré ornés de motifs sculptés māori. Sur les lithographies, il a également ajouté d’autres motifs pour remplir le fond, afin de replacer ces images dans leur contexte d’origine, Aotearoa/Nouvelle-Zélande. Selon Nuku, grâce à toutes ces techniques de présentation de cet ensemble de lithographies, il les « élève au rang d’art classique ».8

Gauche : L’Astrolabe, plexiglass. Droite : Voyage autour du monde, plexiglass. © Photographie : Clémentine Débrosse

Buste de Dumont d’Urville en polystyrène orné de deux pendants d’oreille. Photographie des collections du muséum de Caen. Table-pirogue en plexiglass et massues en plexiglass. © Photographie : Clémentine Débrosse

Au centre de la salle, de chaque côté du portail, se trouvent deux œuvres suspendues en plexiglass : L’Astrolabe et Voyage Autour du Monde. Ces deux œuvres sont des références directes aux circumnavigations de Dumont d’Urville. Mais pas seulement. En effet, Nuku précise que sur le Voyage Autour du Monde, les motifs circulaires représentent tous les voyages : ceux de Dumont d’Urville, ceux du capitaine James Cook, ceux des ancêtres māori de Nuku, ainsi que son propre voyage à lui.9 Quant à L’Astrolabe, c’était un instrument de mesure qui permettait aux marins de calculer la hauteur des étoiles. Mais c’était également le nom du vaisseau de La Pérouse, puis de celui de Dumont d’Urville, qui renomma La Coquille, l’Astrolabe en l’honneur de La Pérouse. L’Astrolabe, cet outil maritime que George Nuku considère comme étant le « prédécesseur du smartphone »10, a été acquis, ainsi que le Voyage Autour du Monde, par le musée Hèbre et resteront donc dans les collections rochefortaises.

Enfin, comme un dernier clin d’œil à ce lien entre passé et présent, George Nuku a créé un portrait unique de Jules Dumont d’Urville. L’explorateur est présenté entre deux photographies des collections maintenant disparues du muséum de Caen – à la suite du bombardement de la ville pendant la seconde guerre mondiale - et derrière une table-pirogue-présentoir en plexiglass ornée de divers objets māori en plexiglass. Ce portrait en polystyrène reprend l’habit des officiers de marine, mais le visage de Dumont d’Urville se voit orné du moko de George Nuku ainsi que de son pendant d’oreille en dent de requin. Comme un dernier cadeau qu’il a souhaité faire à cet explorateur du XIXème siècle, George Nuku orne le portrait de l’officier de marine d’un pendant d’oreille en jade, objet convoité lors de son voyage en Aotearoa/Nouvelle-Zélande, mais qui lui avait alors été refusé. Jusqu’au 28 août, Dumont d’Urville en possèdera un !

Clémentine Débrosse

Je souhaite remercier Claude Stéfani, Séverine Bompays et George Nuku d’avoir accepté de répondre à mes questions et de m’autoriser à publier des photos de l’exposition Voyage autour du monde, l’aventure maori de Dumont d’Urville.

Accédez à l’exposition en 3D ici

1 George Nuku, In Interview de George Nuku, Voyage autour du monde, l’aventure maori de Dumont d’Urville. https://www.youtube.com/watch?v=Mf1v6CNpam8&t=96s

2 George Nuku, In Interview de George Nuku, Voyage autour du monde, l’aventure maori de Dumont d’Urville. https://www.youtube.com/watch?v=Mf1v6CNpam8&t=96s

3 George Nuku, In Interview de George Nuku, Voyage autour du monde, l’aventure maori de Dumont d’Urville. https://www.youtube.com/watch?v=Mf1v6CNpam8&t=96s

4 George Nuku, In Walk Through Tour of Exposition ‘Voyage autour du monde, l’aventure maori de Dumont d’Urville’. https://www.youtube.com/watch?v=SwZ8n-Dr4U8

5 1. Pa kahawai, Hameçon. Nacre d’halitois, métal, phormium tenax. Collecté par Pierre-Adolphe Lesson, à la baie de Chouraki, le 26 janvier 1827 lors du voyage de l’Astrolabe. Musée Hèbre, Rochefort. 2. Hei koiwi, Pendentif. Vertèbre cervicale humaine, nacre d’haliotis, phormium tenax. Collecté par Pierre-Adlophe Lesson, à la baie de Tasman, le 17 janvier 1827, lors du voyage de l’Astrolabe. Musée Hèbre, Rochefort. 3. Pake, Manteau. Phormium tenax teint. Collection de George Nuku.

6 2. Korowai, Manteau. Phormium tenax naturel et teint. Collecté par Pierre-Adolphe Lesson, à la baie de Tasman, le 16 janvier 1827, lors du voyage de l’Astrolabe. Musée Hèbre, Rochefort. 3. Heitiki Pounamu, pendentif Jade, cire à cacheter, phormuum tenax, os d’oiseau. Collecté par Pierre-Adolphe Lesson, près du Cap Otu, le 9 mars 1827, lors du voyage de l’Astrolabe. Musée Hèbre, Rochefort.

7 1. Matau koiwi, Hameçon. Os humain, phormium tenax, Musée des Beaux-Arts, Chartres. 2. Kauae raro, Pendentif en mâchoire humaine. Plastique, plume, os de bœuf, collection de George Nuku. 3. Pau onewa, Massue Grès (greywacke). Collectée par Pierre-Adolphe Lesson, en janvier-mars 1827, lors du voyage de l’Astrolabe. Musée Hèbre, Rochefort. 4. Putorino, flûte ou bugle. Bois, fibre végétale. Musée des Beaux-Arts, Chartres. 5. Tatua, Ceinture d’homme, Phormium tenax. Collectée par Pierre-Adolphe Lesson, en janvier-mars 1827, lors du voyage de l’Astrolabe. Musée Hèbre, Rochefort.

8 George Nuku, In Walk Through Tour of Exposition ‘Voyage autour du monde, l’aventure maori de Dumont d’Urville’. https://www.youtube.com/watch?v=SwZ8n-Dr4U8

9 George Nuku est originaire de Nouvelle-Zélande et a vécu aux États-Unis ainsi qu’à plusieurs endroits en Europe avant de s’installer en France où il réside actuellement.

10 George Nuku, In Walk Through Tour of Exposition ‘Voyage autour du monde, l’aventure maori de Dumont d’Urville’. https://www.youtube.com/watch?v=SwZ8n-Dr4U8

Bibliographie :

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