Before Time Began, une exposition présentée au Musée Art & Histoire de Bruxelles
L’exposition Before Time Began, présentée au Musée Art & Histoire de la ville de Bruxelles, s’intéresse peu de temps après Aboriginalities, présentée aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, à la création moderne et contemporaine aborigène.
Elle intervient également peu de temps après la présentation au Centre Pompidou de Paris (CNAC) de Elles font l’abstraction, au cours de laquelle était exposée une toile de plusieurs mètres de haut et de long réalisée par les femmes des terres APY Art Centre Collective, en Australie-Méridionale. Before Time Began, au Musée Art & Histoire de Bruxelles, présente son pendant tout aussi monumental réalisé par les hommes du APY Art Centre Collective.
L’exposition est organisée avec le concours de la Fondation Opale de Lens, en Suisse, qui conserve le plus important ensemble de ce type en Europe. L’ensemble présenté est en partie issu de la collection rassemblée par Bérangère Primat pour la Fondation, et une autre partie relève de la collection Arnaud Serval, en Australie.
Suite à un tour d’horizon de l’histoire de la reconnaissance des droits humains aborigènes et de ceux liés à leur terre, Before Time Began dresse un bref portrait du noyau dur de la culture avant ses premiers contacts avec les colons par le biais d’objets liés à la nature nomade ancienne des communautés, comme des propulseurs, des boomerangs, des massues ou encore des boucliers ornés. Dans cette première partie, l’exposition rappelle à chacun à quel point la reconnaissance des Aborigènes d’Australie a été difficile et tardive, et combien il est essentiel de connaître et de respecter la culture et les droits des premiers habitants du continent.
Après cette première partie assez courte, un changement se produit dans la scénographie à l’amorce de l’espace suivant. L’exposition troque son manteau blanc pour un fond sombre, à même de mettre en valeur les couleurs vives que l’on devine plus loin, à quelques mètres, alors que la peinture moderne éclate sur les toiles après la modération élégante et sophistiquée des écorces peintes aux tons ocres.
La scénographie de la plus grande salle de l’exposition est structurée autour de l’œuvre monumentale Kulata Tjuta - Kupi kupi / Beaucoup de lances - Tourbillon de vent, constituée de 1500 lances et autres outils en bois sculptés. Les objets sont en apesanteur, et savamment organisés dans un tourbillon qui semble s’élever du sol. Des murmures et des échos de voix en provenance du sommet parviennent au visiteur, et le suivent tout au long du parcours qui se concentre sur la peinture moderne et contemporaine. Cette œuvre, dont l’impression puissante qu’elle laisse à toutes celles et ceux qui se retrouvent en sa présence est presque impossible à décrire, a été créée par plusieurs dizaines d’artistes du pays APY pour la Fondation Opale. Frank Young, l’un des artistes de la communauté Amata de langue Pitjanjara ayant participé à sa réalisation, la décrit de la façon suivante: « Cette histoire raconte le grand vent de changement qui s’est levé à l’arrivée de l’homme blanc sur nos terres. »
Parmi les noms les plus connus, on retrouve Emily Kame Kngwarreye, Clifford Possum Tjapaltjarri ou encore Rover Thomas Joolama, mais l’exposition fait également la part belle à des artistes dont l’œuvre est plus rarement montrée au public belge et français mais qui mériteraient de l’être davantage. Parmi eux, Tiger Yaltangki puise son inspiration dans la rencontre en son for intérieur de la pop culture et de l’imaginaire ancien lié aux traditions ancestrales, dans un résultat explosif et surprenant qui prend corps dans l’œuvre Tigerland, créée en 2018.
Alors que la fin de l’exposition s’amorce, l’œuvre Nganampa Ngura Manta Milmilpatjara / Notre terre est sacrée, surgit tout à coup comme une galaxie de couleurs chaudes au bout d’un couloir et réussit son pari de happer le visiteur au vol. Cette gigantesque toile est le pendant de la superbe Nganampa Mantangka Minyma Tjutaku Tjukurpa Ngaranyi Alatjiitu / La loi des femmes est vivante sur nos terres, qui fut récemment montrée au Centre Pompidou de mai à août 2021 pour l’exposition Elles font l’abstraction, côte à côte avec Natalia Gontcharova, Georgia O’Keeffe et plus d’une centaine d’autres artistes femmes. Ces tableaux majestueux, créés respectivement en juin et en septembre 2018, témoignent de la continuité de la mémoire aborigène et de la transmission par des artistes âgés de leur savoir étendu aux jeunes artistes ayant également contribué à la réalisation.
Après un tel éclat, le visiteur aura sans doute une certaine réticence à aborder la dernière salle, plus sombre, exclusivement consacrée aux deux séries de photographies Civilised et Object de Michael Cook. Sa carrière ayant débuté comme photographe de mode, les images qu’il produit sont stylisées et dramatiques, et offrent un contraste surprenant avec la chaleur des toiles des pièces précédentes. Ce brusque changement de ton qui ouvre la discussion sur le concept de personne civilisée et sur l'esclavage intervient en toute fin d’exposition, comme pour rappeler au visiteur qui s’apprête à la quitter de la nécessité continue de déconstruire son regard.
L’expérience de Before Time Began est intense et superbe, et sa visite impérative pour tous les passionnés de culture aborigène (et tous les autres) !
Elsa Spigolon
Exposition présentée au Musée Art & Histoire de Bruxelles, Belgique, du 22 octobre 2021 au 29 mai 2022.
Plus de renseignements : https://www.brusselsmuseums.be/fr/expositions/before-time-began