Naître en Papouasie-Nouvelle-Guinée

Femme et enfants Huli (Hautes-Terres, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Mélanésie). Photographie : Walls R.

  Puisque nous venons de fêter l’anniversaire d’un des plus célèbres nouveaux-nés du monde le 25 décembre, on s’est dit que c’était l’occasion rêvée de vous parler des bébés en Océanie ! Et aussi parce que ça ne fait jamais de mal de se rendre compte qu’ailleurs, on ne fait pas forcément de baby shower et qu’il risque parfois d’y avoir des crocodiles dans l’eau du bain !

Avant la naissance

Le corps du futur enfant est déjà, avant sa naissance, le fruit d’une construction sociale. Vers 1986, les Yafar (Mélanésie, Papouasie-Nouvelle Guinée, province du Sépik Occidental) confiaient à Bernard Juillerat1 que les os étaient les premiers à se former au sein du corps de la mère à partir du sperme du père ; puis, le sang de la mère formait une enveloppe protectrice autour de ceux-ci, appelés à devenir la futur chair de l’enfant. Cette croyance est largement répartie en Mélanésie ; on la retrouve chez les Kanak de Kanaky (aussi appelée Nouvelle-Calédonie) par exemple.

À chacun ses interdits ! Si la culture occidentale interdit formellement pour limiter les risques de listériose et de toxoplasmose :

  • Le camembert

  • Les poissons crus et fumés

  • Les rillettes

  • Les coquillages peu cuits (etc.)

Les Yafar bannissent fermement de l’alimentation des femmes enceintes la noix de coco, le pandanus et autres aliments rouges, mais également la tortue et la chair de calao, un grand oiseau au large bec !

L'accouchement

Les conditions de l’accouchement varient selon les groupes, mais son caractère secret, lui, reste constant dans la plupart des groupes de Mélanésie.

Ainsi, le même Bernard Juillerat attesta dans le célèbre ouvrage précédemment cité2 que les femmes Yafar accouchaient dans une pièce isolée, sous le plancher de la maison familiale sur pilotis élevée à un mètre du sol. Après avoir mis au monde son enfant, elle reste au sein de cette pièce fermée pendant un temps de claustration proportionnelle à la croyance en la dangerosité des fluides féminins en Mélanésie. Les conditions y étaient vraisemblablement rudes pour la nouvelle mère, car l’auteur prend soin de préciser dans son ouvrage que l’espace y était si étroit qu’elle ne pouvait pas même s’y mettre debout. Pendant cette période, de la nourriture et du tabac étaient passés à la femme à travers les interstices du plancher de la maison familiale.

Sur des images d’archive plus anciennes (1938 !) recueillies par Margaret Mead, une jeune femme de Papouasie Nouvelle-Guinée s’isole dans la forêt proche du village afin d’accoucher seule. Après avoir nettoyé et déposé son enfant sur de larges feuilles, elle allume même avec un soulagement non dissimulé un cigare et le fume avec délice, juste à côté du placenta soigneusement placé dans une noix de coco (Si, si !).

Dans tous les cas, c’est souvent aussi loin que possible des hommes que les femmes donnent vie, pour éviter de les contaminer avec le sang qui est forcément versé au moment de l’accouchement. Cette croyance apparaît liée au secret qui entoure la mise au monde d’un nouvel être humain et de la puissance féminine.

Le père

Père Yafar (province du Sépik Occidental, Papouasie-Nouvelle Guinée, Mélanésie) vêtu de son étui pénien tenant dans ses bras son bébé.

Le rôle qu’a à jouer le père lors de la venue au monde de son enfant contraste selon les groupes culturels de Mélanésie. Voici quelques exemples choisis qui permettent d’en illustrer la diversité.

Chez les Yafar (province du Sépik Occidental, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Mélanésie), un lourd interdit pèse sur le père au moment de la naissance : lors de la période de claustration de la mère suivant immédiatement la naissance d’un enfant, il lui est formellement défendu de parler de l’événement, ni même de s’en occuper. Il vaque à ses occupations habituelles et ne prend son bébé dans les bras qu’une ou deux semaines plus tard, l’ignorant jusque là par crainte du contact avec les fluides féminins dont le nouveau-né est encore imprégné. Il commence à prendre soin de l’enfant bien plus tard, veillant à participer à son éducation, à le surveiller lorsque la mère sera au travail et à donner des conseils sur son alimentation.

Chez les Arapesh (région du Sépik, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Mélanésie) en revanche, le père aide la mère à s’occuper de l’enfant dès que celle-ci rentre à la maison. Il apporte de l’eau dans une noix de coco pour le baigner, s’occupe de le nettoyer et, plus tard, de le nourrir.

Chez les Baruya (Mélanésie, Papouasie-Nouvelle Guinée, région des Hautes Terres), la mère doit dissimuler le visage du nourrisson à son mari, et ce jusqu’à ce qu’il ait ses premières dents. Lorsque l’homme est présent, elle recouvre le bébé de son bilum, un sac de fibres tressées. Si jamais il l’entrevoit, il crache immédiatement par terre.

Le nom

Le nom est, dans la plupart des sociétés (y compris la nôtre !) essentiel au processus d’intégration d’un nouvel individu à un groupe. Rappelez-vous : en France, la déclaration de naissance doit être faite dans les cinq jours suivant cette dernière, et le nom décidé à ce moment-là.

Le délai est loin d’être comparable dans les sociétés traditionnelles de Mélanésie. Maurice Godelier témoignait en 1992 dans le Journal de la Société des océanistes3 :

« Pour les Baruya, l'esprit est quelque chose qui se trouve logé dans la tête, sous le sommet du crâne. L'esprit d'un individu se loge, semble-t-il, assez tardivement dans son corps. Cet esprit est souvent celui d'un(e) ancêtre qui reprend corps dans l'un(e) de ses descendants. Un an environ après la naissance d'un enfant lorsqu'on est plus assuré qu'il survivra et que le père a fait un don rituel aux maternels de l'enfant, donc au lignage de son épouse, on donne alors à l'enfant un premier nom tout en gardant encore caché son deuxième nom, le grand nom qu'il ou qu'elle portera après avoir été initié(e). »

Il remarque par ailleurs après avoir analysé plus de quatre cent noms qu’une écrasante majorité d’entre eux (67,5%) font référence à des noms d’arbres et de plantes sauvages, à des fleurs, à des plantes cultivées, à différentes espèces de sols ou à des corps célestes, à des étoiles et des phénomènes météorologiques comme la pluie, le vent, ainsi qu’à des oiseaux et à des insectes.

Par ailleurs, Bernard Juillerat observa en 1986 que le nom de l’enfant était intimement lié à la révélation du sexe de l’enfant4 :

« Tant que le nom est lui-même tenu secret (ou plutôt non dit, bien que plus ou moins connu de tous), le sexe est également tu. Cette analogie me fut révélée un jour par la réponse spontanée d’un homme que j’interrogeais sur le sexe d’un enfant né quelques jours plus tôt (…) : “Je ne sais pas, l’enfant n’a pas encore de nom”. »

Protéger le bébé des attaques visibles et invisibles

Le bébé est protégé par ses parents et par les autres membres de la communauté et doit pouvoir être certain qu’il ne sera pas victime d’accidents qui lui feraient perdre confiance en son univers en « ne le laissant jamais s’égarer au-delà des limites de sécurité et de l’attention vigilante des adultes ».

En revanche, laisser le bébé très libre de ses mouvements afin qu’il expérimente seul son nouvel univers fait partie des conceptions pédagogiques de nombreux groupes de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Selon Margaret Mead, « l’enfant est donc libre d’expérimenter « les bains forcés, les chutes, les douches d’eau froide ou l’empêtrement dans les algues visqueuses », parmi toutes les autres aventures et mésaventures qu’il rencontrera dans son environnement immédiat au fur et à mesure de sa croissance. Elle ajoute :

« les enfants Manus ont une confiance si absolue dans leurs parents qu’un petit saute de n’importe quelle hauteur dans les bras grands ouverts d’un adulte : il saute aveuglément, avec la certitude totale d’être rattrapé sain et sauf ».5

Dans la garde et la protection du très jeune enfant, les femmes sont rarement exemptes de toute activité pendant la période suivant sa naissance. Le bilum, un sac en fibres végétales tressées souple et modulable, leur offre un moyen de garder les enfants sous leur surveillance tout en gardant les mains libres de s’affairer à d’autres activités quotidiennes.

Il existe des bilum à anse longue ou anse courte, les seconds étant souvent préférés par les femmes pour leur praticité et leur possibilité d’être portés à l’aide d’une lanière qu’elles passent sur leur front. Pour le confort de l’enfant endormi, il est tapissé de feuilles douces (de la flanelle, par exemple) ou de morceaux d’étoffe. Lorsque la mère se rend au marché, elle peut parfois porter plusieurs bilums, un pour son bébé et les autres remplis de fruits ou de légumes. Lorsque le soleil ou la pluie sont trop violents, le bilum peut être recouvert d’une feuille de bananier ou d’une cape de tapa afin de protéger le bébé des éléments. Il peut également être accroché à une branche à l’ombre du soleil lorsque la mère est affairée aux champs, servant ainsi de berceau au bébé pour que son sommeil ne soit pas troublé.

Il est intéressant de remarquer que le bilan a également un rôle à jouer dans la protection de l’enfant contre les attaques invisibles : dans certains groupes, les mères voyageant la nuit préfèrent toujours rabattre leur bébé sur leur poitrine, « hantées par la peur que les femmes mortes, les seins gonflés, ne se précipitent sur lui pour lui donner à boire leur lait mortel ».6

Nourrir

Alors, petit pot de carottes ou de petit pois ? Nourrir le bébé fait partie de la vie quotidienne des familles de Mélanésie et permet de le maintenir à l’abri de la faim mais aussi, dans certains cas, à l’abri de mauvais esprits qui chercheraient à lui nuire en profitant de sa condition fragile.

Jeune femme Huli donnant le sein à son enfant, province des Hautes-Terres méridionales.

Les mères Arapesh trempent souvent leur doigt dans la bouillie pour l’introduire dans la bouche du bébé ; lorsqu’elle est trop liquide, elles y plongent une étoffe d’écorce qu’elles font ensuite sucer à l’enfant.

Chez les Yafar, la pratique la plus courante est celle de pré-mâcher la nourriture, qu’on fait ensuite s’écouler dans le gosier du jeune enfant à la manière des oiseaux. Au moyen de cette technique, les Yafar donnent à l’enfant du poisson, des larves étêtées ou encore du foie.

L’allaitement est toujours un moment délicat, car souvent profondément  rattaché à certaines pratiques rituelles qui nécessitent une prise de précautions de la part de la mère avant de nourrir le bébé.

Ainsi, les mères papoues font toujours jaillir une petite giclée de lait de leur sein avant l’allaitement, « purgeant » et nettoyant les traces dangereuses que des mères fantômes – le plus souvent des femmes ayant péri au moment de l’accouchement et que leur bébé n’a pas suivie dans la mort – ou des bébés défunts auraient pu laisser en tétant à leur insu pendant la nuit.7

Lorsqu’arrive le moment du sevrage, là encore, les populations mettent en place des techniques ingénieuses et parfois liées au monde rituel pour dégoûter le bébé de la tétée.

Ce sevrage intervient le plus souvent lorsque les bébés ont déjà une alimentation diversifiée, qui leur permet de faire la transition entre le lait maternel et les autres aliments plus aisément. Afin de procéder à cette transition, la mère utilise tous les moyens à sa disposition, souvent en enduisant son sein d’une substance désagréable en bouche. Chez les Yafar, les moyens de dissuasion peuvent être plus radicaux car liés au monde des esprits et des ancêtres : la mère peut aller jusqu’à se frotter la poitrine avec le crâne d’un mort pour empêcher son bébé de recommencer à téter.

La préservation de l’hygiène est capitale pour un jeune individu, souvent plus vulnérable qu’à tout autre âge de sa vie, et ce surtout sur le sol de la Papouasie Nouvelle-Guinée, où pour chaque millier d’enfants nés, plus de soixante-dix n’atteignent pas leur cinquième anniversaire. En effet, bien que le pays ne soit qu’à quelques kilomètres des côtes australiennes, le taux de mortalité infantile y est quatorze fois plus élevé. Le danger de contracter certaines maladies mortelles infectieuses transmises par l’eau, les aliments ou encore le contact manuel peut être amoindri en veillant à l’hygiène du bébé.

Pataromu Tamatea (discuté), Vierge à l’enfant, vers 1845. Auckland Museum, Nouvelle-Zélande.

Dans l’étude comparative documentaire Bathing Babies in Three Cultures, Margaret Mead souligne que la toilette peut être un moment particulièrement dangereux. Elle y explique que si la mère maintient si fermement son bébé au moment de le plonger dans le Sépik pour le débarrasser de la saleté en l’aspergeant d’une main experte et sûre, c’est avant tout pour anticiper l’éventuelle attaque d’un crocodile, nombreux dans le fleuve.

L’attention des parents se focalise davantage sur certains endroits du corps du nouveau-né, car considérés comme plus vulnérables ; parmi eux, on trouve notamment la fontanelle. Cet endroit du crâne où les os non soudés laissent voir le cœur battre impressionne et inquiète. Les parents la perçoivent souvent comme une brèche dans la fragile armature du bébé, et cherchent à la protéger par divers moyens.

Ainsi, à la fin de la période de claustration suivant l’accouchement, les Yafar prennent soin de ne pas raser les cheveux de l’enfant recouvrant la fontanelle lors de la tonsure rituelle précédant la première toilette de l’enfant. Plus tard, la mère ira chercher un peu de terre meuble rejetée par un ver de terre géant de la famille des megascolecidae sur la fontanelle du bébé afin de la préserver et de la renforcer.8

Je vous laisse sur cette sculpture maorie que certains pourraient dire croquignolesque d’une Vierge Marie et de Jésus enfant, en espérant que vous avez passé de bonnes fêtes !

Elsa Spigolon

1 JUILLERAT, B., 1986. Les Enfants du Sang : Société, reproduction et imaginaire en Nouvelle-Guinée. Paris, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme.

Ibid.

3 GODELIER, M., 1992. «Corps, parenté, pouvoir(s) chez les Baruya de Nouvelle-Guinée». In: Journal de la Société des océanistes, issue 94, numéro 1, pp. 3-24.

4 JUILLERAT, B., 1986. Les Enfants du Sang : Société, reproduction et imaginaire en Nouvelle-Guinée. Paris, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme.

5 MEAD, M., 1973 [1954]. Une éducation en Nouvelle-Guinée. Paris, Payot.6 FONTANEL, B., D’HARCOURT, C., 1999. Bébés du monde. Paris, Editions de La Martinière.7 Ibid.

8 JUILLERAT, B., 1986. Les Enfants du Sang : Société, reproduction et imaginaire en Nouvelle-Guinée. Paris, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme.

Bibliographie :

  • FONTANEL, B., D’HARCOURT, C., 1999. Bébés du monde. Paris, Editions de la Martinière.

  • GODELIER, M., 1992. «Corps, parenté, pouvoir(s) chez les Baruya de Nouvelle-Guinée». In: Journal de la Société des océanistes, issue 94, numéro 1, pp. 3-24.

  • JUILLERAT, B., 1986. Les Enfants du Sang : Société, reproduction et imaginaire en Nouvelle-Guinée. Paris : Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme.

  • MEAD, M., 1973 [1954]. Une éducation en Nouvelle-Guinée. Paris, Payot.Film :

  • MEAD, M., 1952. The First Days in the Life of a New Guinea Baby.

  • MEAD, M., 1954. Bathing Babies in Three Cultures.

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