Waka huia : de fascinantes boîtes à plumes maories

Waka huia. Bois et nacre. Sculptée entre le milieu et la fin du XIXe siècle. © Musée du Quai Branly-Jacques Chirac.

Parmi les nombreux objets collectés en Nouvelle-Zélande par le capitaine Cook lors de ses trois voyages1 au XVIIIe siècle se trouvent plusieurs fascinantes boîtes à plumes, ou waka huia, qui ont tôt fait d’attiser la curiosité des Européens. Si ces boîtes sont très bien représentées dans les institutions et galeries européennes, ce n’est rien comparé à la place qu’elles occupent dans les musées néo-zélandais. À Wellington, le musée Te Papa Tongarewa en compte à lui seul plus d’une centaine dans ses collections, soulignant de fait l’importance de ces objets pour les Maoris. Retour sur l’étymologie de ces  boîtes  à plumes maories.

Waka Huia. Bois et nacre. Sculptée dans les années 1770. Probablement collectée en 1776 par le capitaine James Cook. Ancienne collection Oldman. Don du Gouvernement de Nouvelle-Zélande de 1992. © Te Papa Tongarewa.

Les waka huia sont des boîtes en bois de forme oblongue mesurant en moyenne entre trente et soixante centimètres. Leur surface extérieure est généralement tapissée de fines gravures symétriques qui captent notre attention de par leur richesse et leur grande diversité. Aux extrémités de ces boîtes sont souvent figurées des personnages anthropomorphes dont la tête, bouche ouverte et langue tirée, se détachent en haut relief.

Huia : pour les plumes d’un oiseau prestigieux

Huia (Heteralocha acutirostris) : male and female. Planche extraite de Sir Walter Buller, 1888, A History of birds of New Zealand.

Waka huia. Bois, nacre et cordelette. Sculptée entre 1800 et 1900. Ancienne collection Oldman. Don du Gouvernement de Nouvelle-Zélande de 1992.  © Te Papa Tongarewa.

À l’origine, ces boîtes servaient de réceptacles pour les plumes rectrices2 noires et blanches de l’huia dimorphe (Heteralocha acutirostris), un oiseau endémique de l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande. Déjà rare lors des premières explorations de l’île par les Européens dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, cet oiseau disparaît complètement au début du XXème siècle, suite à l’introduction de nouveaux prédateurs dans leur milieu naturel, et à cause d’une chasse trop intensive. Chez les Maoris, cet oiseau était considéré comme tapu, c’est-à-dire qu’il possédait une certaine sacralité et qu’il était entouré de nombreuses restrictions, notamment concernant sa chasse et l’utilisation de ses plumes. Ces dernières pouvaient être portées en ornements de tête uniquement par les chefs maoris et les personnes de très haut rang, en signe de prestige et d’autorité. Elles pouvaient aussi être échangées contre des objets de valeur dans tout l’archipel. Ces plumes possédaient énormément de mana, cette énergie liée au prestige qui circule entre les dieux, les êtres et les objets, et qui, chez les êtres humains, se concentre surtout dans la tête.

Plus largement, les waka huia servent à conserver de petits objets personnels, précieux, et chargés de mana. Dans ces boîtes, on peut ainsi trouver des objets en punamu3 comme des pendentifs hei tiki4 ou de petites massues, des objets liés à la tête comme des peignes, et des plumes d’oiseaux prestigieux. En plus d’être de superbes écrins pour ces objets, les waka huia permettent de contenir le mana dans un espace clos. En effet, si le mana est bénéfique en règle générale, il peut aussi devenir néfaste. Suspendues en hauteur aux chevrons des maisons par des cordelettes attachées à leurs extrémités saillantes, les waka huia permettent de contenir le mana des objets qu’elles contiennent, en les isolant du sol. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle leur partie inférieure est autant travaillée, puisqu’elles s’offrent à la vue aussi bien du dessus que du dessous. Les gravures extrêmement couvrantes participent aussi à cette idée de protection, puisqu’elles permettent de créer un espace supplémentaire entre l’intérieur et l’extérieur du contenant.

Waka : pour les pirogues et le passage d’un état à un autre.

Le terme waka est le mot maori utilisé pour désigner les pirogues. Les waka huia reprennent en outre aux pirogues leur forme courbe et allongée. Pour comprendre l’étendue des liens unissant les boîtes à plumes aux pirogues, il faut se pencher sur l’importance de ces dernières en Nouvelle-Zélande.

Que ce soit dans les récits cosmogoniques ou dans la vie de tous les jours, la navigation occupe une place centrale chez les Maoris. Dans la vie quotidienne, les pirogues permettaient notamment de lier les différents espaces insulaires et les êtres humains, l’activité de la pêche, et, ne l’oublions pas, l’aventure ! Certaines grandes pirogues pouvaient être très sacrées et tapu. Les premiers peuplements, également, se sont fait à bord de grandes pirogues contenant hommes, vivres et plantes nécessaires à une implantation durable. Y faire référence pour nommer les waka huia est un moyen de signaler le prestige de ces boîtes et des objets qu’elles contiennent.

Waka tupapaku. Bois. Sculpté entre 1700 et 1800. © The British Museum.

Un lien très fort uni les waka au Po, monde des divinités et des morts, endroit puissant et dangereux où se concentre le mana. Du point de vue cosmologique, de nombreux mythes mettent en scène des dieux pêcheurs d’îles navigant sur leur pirogue, dont le plus connu est Maui. Les waka sont aussi fréquemment associées à des rituels funéraires. Les pirogues waka mamare, par exemple, servaient au transport des chefs défunts, et certaines anciennes pirogues étaient utilisées comme reliquaires ou cénotaphes5. Le terme waka et ses dérivés englobent ainsi un concept plus large d'interface, de connexion entre deux réalités, deux mondes. Pour les waka huia, cela peut s’entendre comme une interface entre un intérieur lié au monde Po de par les objets chargés de mana qu’il contient, et un extérieur ancré dans le monde Ao, le monde quotidien. On retrouve l'utilisation du terme waka pour souligner cette idée d’interface entre deux états avec les waka tupapaku, ces grandes boîtes anthropomorphes destinées à recevoir les ossements d’ancêtres prestigieux.

Aujourd’hui, les waka huia restent des objets identitaires forts qui évoquent la préservation d’un patrimoine et d’un savoir ancestral. Les waka huia sont des taonga, ces trésors culturels et religieux maoris qui se transmettent de génération en génération. Certaines possèdent des noms et peuvent servir de cadeaux illustres pour raffermir des liens positifs entre des groupes de descendance. Les Maoris ont à cœur de préserver ces taonga et de les rendre visibles aux communautés auxquelles ils appartiennent. Ils le font d’ailleurs par le biais d’expositions réalisées dans les musées néo-zélandais. Ainsi, en 1992, le Gouvernement de la Nouvelle-Zélande a fait don de la prestigieuse collection Oldman6, acquise en 1948, à plusieurs grands musées néo-zélandais. Cette immense collection d’objets maoris était riche de quarante-trois waka huia, objets de fascination pour ce collectionneur anglais, désormais au cœur des très belles collections muséales néo-zélandaises.

Gabrielle Maksud

1 Le capitaine anglais James Cook effectue son premier voyage dans le Pacifique entre 1768 et 1771 à bord du HMB Endeavour, puis son deuxième entre 1772 et 1775 à bord du HSM Resolution, et le troisième et dernier entre 1776 et 1779, de nouveau à bord du HSM Resolution. C’est le 6 octobre 1769 que James Cook atteint la Nouvelle-Zélande. Il est le deuxième Européen à y débarquer, après le néerlandais Abel Tasman qui l’avait atteinte en 1642.

2 Les plumes rectrices se situent au niveau de la queue des oiseaux. Chez le huia, ces plumes sont noires aux extrémités blanches.

3 Le punamu est une pierre généralement verte, très précieuse pour les Maori. Pour en savoir plus vous pouvez cliquer ici

4 Les hei tiki sont des pendentifs anthropomorphes généralement sculptés en punamu. Pour en savoir plus sur ces objets porteurs de mémoire, vous pouvez cliquez ici.

5 BEST, E., 1976. The Maori Canoe. Wellington, N.Z., Government Printer. Pages 216-220.

6 La collection Oldman a été constituée par le collectionneur et marchand anglais William O. Oldman (1879-1949). C’était l’une des plus grandes collections privées au monde. L’art polynésien, et en particulier maori, y est très bien représenté. La partie océanienne de cette collection a été achetée le 13 août 1948 par le Gouvernement de la Nouvelle-Zélande pour 44,000 livres sterling.

Bibliographie :

  • BARROW, T., 1964. The decorative arts of the New Zealand maori. Wellington, A.H & A.W. Reed LTD.

  • BATAILLE-BENGUIGUI, M. C., 1985. "Te Maori : reconnaissance d'une identité". In L'Homme, vol. 25, no. 96, pp. 141-147.

  • BEST, E., 1976. The Maori Canoe. Wellington, Government Printer.

  • COLLECTIF, 2008. Va'a : la pirogue polynésienne. Catalogue d’exposition. Pirae, Au Vent des Iles.

  • KAEPPLER, A., 1993. "La charte mythologique". In KEAPPLER, A., KAUFMANN, C., NEWTON, D., L’Art océanien. Paris, Citadelles et Mazenod, pp. 39-50.

  • Musée Te Papa Tongarewa, The Oldman Collection, https://collections.tepapa.govt.nz/topic/1337, dernière consultation le 15 octobre 2019.

  • OLDMAN, W. O., 1936. "The Oldman collection of maori artifacts".  In The Journal of the Polynesian Society, vol. 14, pp. 11-16. http://www.jps.auckland.ac.nz/document//Volume_45_1936/Memoirs/No._14_The_Oldman_collection_of_Maori_artefacts%2C_by_W._O._Oldman%2C_p_11-16/p1, dernière consultation le 15 octobre 2019.

  • SMITH, H., 2011. Maori, leurs trésors ont une âme. Catalogue d’exposition. Paris, Musée du Quai Branly-Jacques Chirac/Somogy éditions d’art.

  • SZABO, M., "Huia, The sacred bird". In New Zealand Geographic, https://www.nzgeo.com/stories/huia-the-sacred-bird/, dernière consultation le 15 octobre 2019.

Gabrielle Maksud

Après un coup de foudre pour les arts d’Océanie à son arrivée à l’École du Louvre, le cœur de Gabrielle balance entre deux océans : l’Atlantique de la Bretagne qui l’a vue grandir, et le Pacifique qu’elle rêve de découvrir. Ce qui la fascine plus que tout, ce sont les masques de l’archipel Bismarck et l’histoire de Rapa Nui, bien qu’elle s’intéresse de plus en plus à l’art contemporain polynésien.

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