comments 3

Les perles noires de Tahiti, remarquables gemmes de Polynésie française

       Dans les lagons turquoises de Polynésie française sommeillent des trésors de nacre, les perles noires de Tahiti. Leur écrin ? Une huître perlière aux lèvres noires, la Pinctada Margaritifera. En tahitien cette perle est appelée poerava. Poe pour la perle, rava pour la couleur sombre. Sombres, elles le sont bien. C’est d’ailleurs la particularité des perles de cette région. Mais c’est aussi pour leur éclat et leur lustre, ainsi que pour la variété des nuances qu’elles proposent qu’elles sont si recherchées. En effet, les poerava sont difficilement réductibles à la couleur noire, tant elles peuvent être nuancées, du gris anthracite au mauve aubergine, en passant par toute une gamme de bleu et de vert. Ces caractéristiques leur octroient une place de choix chez les plus grands joailliers du monde, et une reconnaissance internationale. Une belle perle, ça peut coûter plusieurs milliers d’euros. Mais bien avant son apparition sur le marché mondial, les poerava étaient connues et recherchées par les habitants de la Polynésie française. Elles font encore aujourd’hui la fierté des producteurs et des joailliers polynésiens. La culture des huîtres perlières – la perliculture – est une véritable institution dans cette région.

collier

Collier de perles noires de Tahiti. @ Tahitian Pearl Association of French Polynesia.

De la perle fine à la perle de culture

       Avant les débuts de la perliculture dans les années 1960, les huîtres perlières aux lèvres noires étaient pêchées en apnée dans les zones de Polynésie où elles proliféraient. Les plongeurs les plus habiles pouvaient descendre à plus de vingt mètres pour récolter les plus gros spécimens. Cette pratique est attestée par des navigateurs européens dès le XVIème siècle. Une très grande valeur était accordée aux poerava par les Polynésiens. En moyenne, c’est seulement une huître sur 15 000 qui produit naturellement une perle. Un trésor d’une extrême rareté. La nacre iridescente des huîtres Pinctada Margaritifera était également prisée et entrait dans la composition de nombreux objets de prestige.

        Les perles noires de Tahiti provoquent très tôt un engouement mondial. Dès le XVIIIème siècle, elles sont portées dans les plus grandes cours d’Europe, et se retrouvent jusque dans les parures impériales. Elles y doivent leur surnom de « Perles des Reines ». Les négociants européens les exportent intensivement vers l’Australie et l’Europe, souvent au détriment des pêcheurs locaux qui connaissent une grande précarité. Cette exploitation massive mène à une raréfaction des bans d’huîtres perlières à partir du début du XIXème siècle.

       Il faut attendre la dernière décennie du XIXème siècle pour que l’entrepreneur japonais Mikimoto Kōkichi mette au point la technique de la greffe d’huîtres perlières encore utilisée aujourd’hui.1 Les perles fines laissent peu à peu la place aux perles de culture avec l’installation des fermes perlières en Polynésie française à partir de 1961. Aujourd’hui, la majorité des fermes perlières se situent dans les archipels des Tuamotu et des Gambier. La Polynésie est la seule région au monde ou l’activité perlière n’a jamais été interrompue.

ferme-perliere-lucien-pesquie

Une ferme perlière aux Tuamotu. @ Lucien Pesquie

Du grain de sable au nucleus

       Seules certaines variétés de mollusques ont la capacité de produire des perles. La Pinctada Margaritifera, grande huître d’une vingtaine de centimètres de diamètre en fait partie. On la retrouve dans le bassin Indo-Pacifique, et notamment en grande quantité en Polynésie française, aux îles Cook et aux Fidji.2 Sa particularité tient au pourtour noir de l’intérieur de sa coquille. C’est sa capacité à produire ce pigment qui donne la couleur sombre aux perles qu’elles produisent.

Capture

Coquilles d’huître à lèvres noires (Pinctada Margaritifera) @Houston Museum of Natural Science

         Pour ce qui est des perles fines, tout commence avec un grain de sable. Un grain de sable qui s’introduit par hasard entre la coquille et le manteau3 d’une huître perlière. En mécanisme de défense, le manteau enrobe le corps étranger et produit autour de lui des strates de nacre qui vont se superposer. La nacre, c’est un biomatériau composé à 95 % d’aragonite – une forme de carbonate de calcium –, ainsi que de matières organiques. Le tout forme une structure extrêmement résistante. Au bout de quelques années, une perle fine est formée. Mais plus question aujourd’hui d’acquérir une perle fine polynésienne ! Pour les préserver, la pêche des Pinctada Margaritifera est rigoureusement interdite, tout comme l’est la vente des perles noires fines.

Image de gauche : Coupe de nacre en microscopie électronique à balayage @ Romain  Mallet/ SCIAM.
Image de droite : Perles noires de Tahiti.

      Les perles de cultures, elles, nécessitent l’intervention de l’homme. C’est un nucléus, une petite bille de coquillage, qui va être introduit dans l’huître pour remplacer le grain de sable. La greffe est une opération quasi chirurgicale qui demande une grande dextérité. En une dizaine de secondes, le greffeur introduit un nucléus et un greffon dans la poche perlière d’une huître mature. Le greffon est une petite partie de manteau d’une huître tierce. Il va se déployer autour du nucléus et, comme pour les perles fines, produire de la nacre autour. Les huîtres sont ensuite montées en chapelet autour de cordes et disposées dans des parcs à huîtres. Après 18 à 26 mois, les perles de culture sont prêtes à être récoltées.

culturedesperles_greffe_Patrick-LEFEBRE

Récolte d’une perle noire de Tahiti à la ferme Champon. @ Patrick Lefebre

         Mais la greffe ne fonctionne pas à tous les coups. Seules 40 % des huîtres de culture vont donner une perle commercialisable. L’huître peut rejeter le nucleus ou ne pas survivre à l’opération. Les perles obtenues sont ensuite classées en fonction de leur taille, forme, brillance, de la proportion de leurs imperfections et de la quantité de nacre présente. Pour les perles noires de Tahiti, la quantité minimale de nacre autour du nucléus est établie à 0,8 millimètres. La taille de la perle, quant à elle, varie entre 8 et 16 millimètres. Les plus beaux spécimens peuvent mesurer jusqu’à 20 millimètres. De vrais joyaux !

shape-grading

Appellations des différentes formes des perles.

Enjeux économiques et intégration des populations locales

       La perle noire de Tahiti, c’est aussi un enjeu économique et identitaire fort en Polynésie française. Si le tourisme est le premier secteur économique de la région, l’industrie perlière, elle, arrive juste après. En Polynésie française, la perle noire de Tahiti est indétrônable : c’est le premier produit d’exportation depuis 1983. En moyenne 12 tonnes de perles quittent la Polynésie chaque année ! Cependant, les retombées économiques ne profitent pas toujours pleinement aux Polynésiens. La grande majorité des perles sont achetées brutes aux enchères par des négociants de Hong Kong ou du Japon où elles sont transformées avant d’être vendues dans le monde entier. De même, les personnes employées dans les fermes perlières polynésiennes ont longtemps été majoritairement de nationalité japonaise puis chinoise. En 2016, pas moins de 97 % des greffeurs étaient de nationalité chinoise.4

      Cette tendance s’équilibre toutefois depuis quelques décennies. À Rangiroa, aux Tuamotu, le Centre des Métiers de la Nacre et de la Perle (CMNP) participe activement à former les populations locales aux activités liées à la perliculture. En 25 ans, c’est plus de 450 greffeurs qui ont ainsi été formés. Permettre aux jeunes des Tuamotu de pouvoir trouver un métier dans l’archipel, c’est aussi l’objectif de ce centre. C’est toute une dynamique d’intégration des populations locales à la perliculture qu’encourage le CMNP depuis son ouverture en 1991. Dans les atolls perliers, les activités dépendant de la perle noire de Tahiti sont des sources de revenus importantes pour une partie des insulaires des archipels Tuamotu et Gambier.

           Les perles provenant des huîtres, la perliculture est intimement liée à la mer. L’intervention de l’homme se fait autant dans les eaux du lagon qu’en surface : récolter les naissains  – les larves d’huîtres –, positionner les chapelets d’huîtres greffées, veiller à leur état, et finalement les récolter. Des connaissances précises du milieu maritime sont nécessaire, connaissances qui peuvent faire écho à celles acquises par un mode de vie insulaire.

recolte-perles-plongee-philippe-bacchet

Récolte des chapelets d’huîtres pour la récolte des perles. @ Philippe Bacchet

Un lagon sain pour de belles perles 

       La perle noire de Tahiti est le reflet du lagon qui l’a portée. Si le lagon n’est pas sain, la qualité de la perle s’en trouvera diminuée. Avec les dérèglements climatiques actuels et l’exploitation perlière parfois intensive on assiste à une dégradation de certains lagons. Des algues prolifèrent, beaucoup d’huîtres meurent, et les naissains sont moins nombreux. Les huîtres reçoivent aussi moins de lumière du soleil et n’ont plus autant de quoi se nourrir. Leur croissance et celle de leur perle en sont affectées.

81604064_2577407979150838_5308014798246510592_o (1)

Ferme perlière @ Tahitian Pearl Association of French Polynesia

      De nombreuses mesures ont été prises par la Direction des Ressources Marines de Polynésie française (DRM) pour la préservation des lagons. Il s’agit notamment de limiter les zones dédiées à l’exploitation perlière. Ces mesures répondent à une double préoccupation environnementale et économique. L’un des enjeux est d’assurer la pérennité de la filière perlière. Si les lagons ne sont pas préservés, l’avenir des perles de culture devient incertain. Un important investissement dans la recherche en génétique est également mené pour maximaliser à long terme la vitalité des huîtres et la qualité de leur perle. Assurer la qualité des perles, c’est leur permettre de conserver leur place sur un marché international de plus en plus concurrentiel.5

         Réduire le nombre d’huîtres exploitées pour respecter les lagons, c’est l’initiative que prennent aujourd’hui de nombreuses fermes familiales. Les visites touristiques de ces fermes sont aussi l’occasion de sensibiliser le public aux enjeux environnementaux liés à la perliculture.

       La perliculture occupe une place centrale en Polynésie française. C’est un secteur économique qui connaît certaines fluctuations, mais qui continue d’être dynamique et concurrentiel. Un engagement sur la durabilité de la filière se met progressivement en place pour assurer son avenir et préserver le milieu maritime. La perle noire de Tahiti, c’est aussi un symbole de la Polynésie française et du luxe. De plus en plus, les stylistes et joailliers tahitiens se réapproprient la perle noire et participent à une reconnaissance internationale du secteur du luxe en Polynésie. De nombreuses femmes politiques ou personnalités publiques polynésiennes les arborent fièrement.

          Si les perles noires de Tahiti sont les gemmes les plus recherchées d’Océanie, elles ne sont pourtant pas les seules. Toutes aussi connues, les perles de culture d’Australie à la jolie teinte dorée sont leurs grandes concurrentes. Les côtes nord et nord-est d’Australie font partie des plus grandes régions perlières du monde. Mais il n’y a pas que les huîtres qui donnent des perles en Océanie !  Les haliotis6  d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande peuvent également produire naturellement des perles en forme de griffe. Des gemmes très rares et encore très confidentielles d’un bleu extraordinaire. Peut-être un jour à votre cou !

Perles dorées d’Australie @gemperles.
Perles d’halotis d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande.

Gabrielle Maksud

Image à la une : Perles de cultures disposées dans une coquille d’huître perlière à lèvres noires.  (@Ifremer / Chin-Long Ky)

1 Des techniques de greffe d’huîtres perlières étaient historiquement connues, notamment dans la Chine ancienne. L’originalité de la technique inventée par Mikimoto Kōkichi vient de l’introduction d’un nucléus sphérique, pour favoriser la formation d’une perle ronde. Cette technique est connue sous le nom de Mise/Nishikawa.

2 La Polynésie française produit 90 % des perles noires. Le reste de la production se partage entre les îles Cook et Fidji, l’archipel des Marshall, et l’île japonaise d’Okinawa. Il existe également des perles sombres, en quantité très limitée, dans le Golfe de Californie, provenant de l’huître Pteria Sterna. Elles peuvent parfois être comparées aux perles noires de Tahiti, mais sont en général bien plus claires.

3 Le manteau d’une huître est la partie directement au contact de la coquille. C’est une enveloppe de peau qui protège le corps mou de l’animal et qui sécrète la coquille (constituée de carbonate de calcium) et la nacre (constituée d’aragonite et de conchyoline -un composé organique-).

4 Chiffres de l’année 2016 donnés par l’Institut de la Statistique de la Polynésie Française (ISPF).

5 Les perles noires de Tahiti sont en concurrence directe avec les perles blanches du Japon et de Chine, et les perles dorées d’Australie, des Philippines et d’Indonésie. Depuis les années 1980, les perles blanches provenant de moules d’eau douce de Chine ont envahi le marché de la perle. De moins bonne qualité mais beaucoup moins chères, elles représentent la majorité de la production mondiale des perles.

6 L’haliotis est une famille de mollusques marins. Il est couramment appelé ormeau, oreille de mer ou abalone. A Aotearao/Nouvelle-Zélande, il est connu sous le nom maori de paua. Sa nacre très chamarrée y est très prisée. Pour en savoir plus sur la pêche à la nacre dans la culture maori, c’est par here.

Bibliography:

Direction des ressources marines. (2017). « La naissance de la perle de culture à Tahiti ». Youtube. 00 : 02 : 05. https://www.youtube.com/watch?v=V1V9hmnfYiY&feature=emb_rel_end

Direction des ressources marines. (2017). La perle de culture de Tahiti. http://www.ressources-marines.gov.pf/perliculteur/la-perle-de-culture-de-tahiti/. (Dernière consultation le 26 août 2020).

Direction des ressources marines. (2017). Centre des métiers de la nacre et de la perliculture (CMNP). http://www.ressources-marines.gov.pf/perliculteur/recherche-developpement/. (Dernière consultation le 26 août 2020).

France 3. (2013). « C’est pas Sorcier – Perles de Tahiti : le trésor des huîtres ». Youtube. 00 : 26 : 01. https://www.youtube.com/watch?v=AEEBqnARc2s

IEOM. (2006). La perle de Tahiti. https://perledeculturedetahiti.com/wp-content/uploads/2019/12/IEOM-0001-Laperledetahiti2006.pdf (Dernière consultation le 28 août 2020).

ISPF. (2016). Points forts de la Polynésie française. Bilan, la perle en 2016. http://www.ispf.pf/docs/default-source/publi-pf-bilans-et-etudes/pf-bilan-perle-2016.pdf?sfvrsn=6 (Dernière consultation le 28 août 2020).

Mathieu, B. « L’élaboration des perles. » Institut de recherche pour le développement. Mise à jour le 11 juillet 2008. http://www.atolls-polynesie.ird.fr/resatoll/perlicul/fabperle/grefhuit.htm. (Dernière consultation le 26 août 2020).

Mathieu, B. « L’avenir de la perliculture dans les atolls. » Institut de recherche pour le développement. Mise à jour le 11 juillet 2008. http://www.atolls-polynesie.ird.fr/resatoll/perlicul/devlperl/aveperle.htm. (Dernière consultation le 28 août 2020).

Patitifa. « Trésors de Tahiti : perles noires de Tahiti. ». Polynésie La 1ère, replay. Publié 16 septembre 2019, mis à jour le 17 septembre 2019.  00 : 53 : 34. https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/emissions/patitifa/tresors-tahiti-748789.html. (Dernière consultation le 26 août 2020).

Polynésie La 1ère. « 400 greffeurs de nacre formés en 25 ans ». Publié le 2 septembre 2016, mis à jour le 30 septembre 2019. 00 : 02 : 00. https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/400-greffeurs-nacre-formes-25-ans-393867.html. (Dernière consultation le 28 août 2020).

Tahitian Pearl Association of French Polynesia. S.d. « Histoire de la perle de Tahiti ». https://perledeculturedetahiti.com/histoire-de-la-perle/la-perle-de-culture-de-tahiti/naissance-dune-perle-de-tahiti/naissance-et-developpement-de-lhui%cc%82tre-perliere/. (Dernière consultation le 26 août 2020).

3 Comments

  1. Pingback: Que vaut la perle de l’huître bretonne ? | News Todays

  2. Pingback: Que vaut la perle de l’huître bretonne ? | Jnews

Leave a Reply


This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.