Taputapuātea : un nouveau trésor inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO

© SCP, Auteur : P. F. Amar, 2012

À Ra’iatea, île haute des Îles-Sous-le-Vent, en Polynésie française1, un vestige exceptionnel, le marae Taputapuātea, plateforme culturelle, sociale et religieuse, vient d’être inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO (juillet 2017).

Mais quelle est l’histoire de ce complexe, quelle place avait-il et a-t-il encore dans la pensée et la vie des habitants de l’île et de la Polynésie toute entière ? C’est ce que nous vous proposons aujourd’hui de découvrir.

Ra’iatea est la plus grande des Îles-Sous-le-Vent. Celles-ci appartiennent à l’archipel des îles de la Société, elles-mêmes situées en Polynésie française qui s’inscrit dans la grande « aire culturelle » polynésienne – les poupées russes à l’océanienne quoi ! Selon la légende, l’histoire des Îles de la Société débute à Ra’iatea. Le dieu des Océans Ta’aroa, y créa le monde en posant son pied sur la montagne Tea’etapu. Il aurait aussi construit le marae originel, là où Taputapuātea se trouve aujourd’hui. Hiro, célèbre héros polynésien, voulut prendre un morceau de la montagne sacrée de l’île de Mo’orea. Son plan fut déjoué et sa lance alla se ficher à Ra’iatea, ce qui forma la colline Matarepetā, dont nous aurons l’occasion de reparler. Selon les traditions orales, au fil du temps naquirent les chefferies et l’organisation sociale se forma.

Du point de vue des restes archéologiques, il semble que les hommes soient arrivés sur l’île entre le IXème et le Xème siècle de notre ère, depuis la Polynésie Occidentale – Fidji, Samoa, Tonga2. C’est entre le XVIIème et le XVIIIème siècle que la chefferie Tamatoa de ‘Opoa, où se trouve le marae, prend de l’ampleur et rayonne parmi les îles voisines.

Taputapuatea © SCP, Auteur : Matarai, 2011

Le marae Taputapuātea participa à l’influence de l’île et assura l’unité parfois oubliée, voir même méconnue des Occidentaux, de toute la Polynésie. Mais alors, qu’est-ce qu’un marae ? Présent sous des formes différentes en fonction des archipels, il incarne toujours un même concept : un espace cérémoniel ouvert. Il forme le lien entre Te Ao – le monde des vivants – et Te Pō, celui des morts. En Polynésie orientale, les marae sont en pierre et/ou en corail. Ils comprennent aussi des structures en matériaux périssables comme les plumes, le tapa – étoffe d’écorce –, le bois, etc. On considérait que tous ces éléments étaient imprégnés de puissance divine : le mana. La cour était entourée d’une enceinte et l’ahu, sorte d’autel, était l’endroit le plus sacré, puisque réservé aux dieux et aux ancêtres. Chaque marae avait une fonction différente : nationale, locale, sociale, familiale ou bien était dédié aux artisans. Le marae Taputapuātea est toutefois le seul décrit comme marae « international ».3

L’ensemble du site part de la vallée et se poursuit jusqu’à l’océan. Il est délimité par les éléments naturels du paysage, comme la colline Matarepetā créée par la lance de Hiro, on s’en souvient. La description du complexe suit le paripari fenua – présentation de la terre –, discours traditionnel introduisant les éléments du territoire et décrivant par la même occasion l’identité sociale d’un groupe. Ainsi, la haute et la moyenne vallée concentraient autrefois les productions agricoles et les habitations des hommes et femmes de rang inférieur ou médian ; alors que le bas de la vallée et le littoral étaient dédiés aux prêtres, aux guerriers et aux chefs de haut rang. Le complexe regroupe donc à la fois des éléments naturels, des vestiges archéologiques, des mythes : tout un patrimoine matériel et immatériel.

L’intégralité de la vallée est encore peu connue car peu fouillée. C’est en bord de mer que se trouve le marae Taputapuātea proprement dit, accompagné d’un peu plus de quatre-vingts structures : différents marae secondaires, une plateforme d’archers, une pierre sacrificielle et des édifices contemporains réalisés en 1995 et 2007. Le marae Taputapuātea est de plan trapézoïdal. Il mesure 44 mètres de long sur 60 mètres de large. Il existe différents types de murs délimitant les marae : celui de Taputapuātea a un parement « côtier », fréquent à Tahiti et Mo’orea. Les blocs de pierres sont surmontés de pierres oblongues et selon les archéologues, ce parement serait caractéristique des marae dédiés au dieu ‘Oro4. Le nom actuel Taputapuātea est au moins le troisième du site, mais il est difficile de déterminer à quel moment il changea. On peut supposer qu’il traduit une évolution du statut du lieu, datable aux alentours du XVIIème siècle. Alors, le marae s’imposa comme place de rassemblement des Polynésiens, réunis sous le nom Te-ao-o-te-fa’a-tau-aroha, traduit par « l’Alliance amicale » par Teuira Henry5. Elle regroupait Te-Ao-tea – monde clair –, constitué notamment de Maupiti, Rarotonga et la Nouvelle-Zélande et Te-Ao-uri – monde sombre –, composé entre autre de Huahine, Tahiti, Mo’orea et des Australes. Encore une fois, difficile de savoir pourquoi cette Alliance se créa. Il est possible que l'ascension de la secte des ‘arioi, dédiée au dieu ‘Oro contribua au rassemblement de ces groupes. Les ‘arioi étaient des lettrés et des acteurs talentueux. Ils sillonnaient la mer sur une pirogue du nom de Anu’anu’a (Arc-en-ciel). Elle était une forme du dieu ‘Oro et une représentation du marae Taputapuātea, les mettant tous deux en présence hors de ‘Opoa (là où se trouve le marae si vous avez bien suivi...). ‘Oro n’était pas seulement le dieu de la Guerre, comme on le lit souvent, mais aussi le dieu de la Paix, de la Vie et de tout ce qui s’y rapporte6.

© SCP, Auteur : J.-B. Herrenschmidt, 2012

« L’Alliance amicale » pris fin lors d’un conflit entre l’intercesseur de Te-oa-tea et un grand chef de Te-oa-uri, qui tua son interlocuteur. L’Alliance fut alors brisée et seules Tahiti et Ra’iatea continuèrent les rites jusqu’au XIXème siècle et la christianisation des îles.

Avec l’arrivée des Européens et des nouvelles religions, les choses changèrent et Ra’iatea se convertit rapidement, sur le modèle de Tahiti. Le marae fut transformé en cocoteraie jusque dans les années 1980, mais dès les années 1960, les archéologues Emory et Sinoto du Bishop Museum de Hawaii commencèrent les premières recherches et restaurations.

En 1976, la pirogue Hōkūle’a arrive depuis Hawaii jusqu’à Taputapuātea : c’est le début de la renaissance culturelle polynésienne et de la réunification de l’Alliance. Cette dernière se concrétise en 1995, lorsque sont rassemblées des pirogues de toute la Polynésie. Une cérémonie de levé de tapu (tabou)7, posé lors du déchirement de l'Alliance fut organisée à cette occasion. En 2014 Hōkūle’a a de nouveau pris la mer, accompagnée d’une seconde pirogue, Hikianalia, elle aussi hawaiienne, pour accomplir un tour du monde. Le voyage unifia encore une fois la Polynésie et eut aussi une portée mondiale, comme le nom du périple l'indique : « Mālama Honua (to care for our Earth) Worldwide Voyage ». Les deux pirogues furent porteuses d’un message environnemental. Elles ont aussi participé à l’inscription du marae sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO en emportant avec elles deux pierres du site.

Le marae Taputapuātea témoigne donc de la manière dont les Polynésiens agençaient leur espace, organisaient leur vie, géraient les rapports qui les unissaient, ainsi que leur savoir-faire et leur expansion. Sa grandeur se traduit également par l’existence de plusieurs autres marae portant le nom Taputapuātea à travers le Pacifique : Hawaii, la Nouvelle-Zélande, Rarotonga, etc. Il était en effet de coutume de prendre une pierre du marae originel pour en construire un autre du même nom sur son île. La nouvelle structure devenait alors signe d’alliance entre les groupes.

Encore une fois, des pierres de Taputapuātea ont pris la mer, témoignant cette fois d’une volonté de reconnaissance internationale, aujourd’hui acquise.

 Garance Nyssen

1 Se référer à la carte Polynésie dans la section Mappemonde.

2 Collectif (GIE Océanie : Jean-Brice Herrenschmidt, Marion Bon, Estelle Poncet, Service de la Culture et du Patrimoine : Tamar Maric), 2017. Taputapuatea. Paris, Imprimerie Launay.

3 HENRY, T., 2000. Tahiti aux temps anciens. Réédition, Publication de la Société des Océanistes, N°1, Musée de l'Homme, Paris.

4 Collectif (GIE Océanie : Jean-Brice Herrenschmidt, Marion Bon, Estelle Poncet, Service de la Culture et du Patrimoine : Tamar Maric), 2017. Taputapuatea. Paris, Imprimerie Launay.

5 HENRY T., 2000. Tahiti aux temps anciens. Réédition, Publication de la Société des Océanistes, N°1, Musée de l'Homme, Paris.

6 TEISSIER V., 2010. Hiti.

7 Élément sur lequel était placé un interdit.

Bibliographie :

  • Collectif (GIE Océanie : Jean-Brice Herrenschmidt, Marion Bon, Estelle Poncet, Service de la Culture et du Patrimoine : Tamar Maric), 2017. Taputapuatea. Paris, Imprimerie Launay.

  • HENRY T., 2000. Tahiti aux temps anciens. Réédition, Publication de la Société des Océanistes, N°1, Musée de l'Homme, Paris.

  • ORLIAC C., 2000. Fare et habitat à Tahiti. Marseille, éditions Parenthèses.

  • TEISSIER V., 2010. Hiti.

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