L’art Océanien aux enchères – Automne 2017

Figure du dieu Ku Ka’ili Moku, Paire de rapa, figure Uli. © Christie's & Sotheby's.

Sculpture du dieu Ku Ka’ili Moku, Hawaï.
© Christie’s

Avec trois batailles d’enchères dépassant le million d’euros et deux nouveaux records pour la spécialité, cette saison de ventes témoigne d’un véritable engouement et affirme la solidité du marché de l’art océanien. Entre novembre et décembre, Sotheby’s et Christie’s ont proposé quatre sessions offrant des œuvres d’art océaniennes. En premier lieu, la Collection Silver chez Sotheby’s New York qui, bien que majoritairement africaine et précolombienne, présentait trois pièces mélanésiennes notamment un magistral masque Kanak de l’ancienne collection Merton Simpson. Ont suivi deux ventes chez Christie’s Paris – les 21 et 22 novembre dernier - avec la très attendue Collection Vérité et ses deux œuvres majeures : la statue hawaïenne du dieu de la guerre Ku et le Uli noir de l’ancienne collection Loeb. Enfin, le 12 décembre dernier, Sotheby’s Paris a fermé la saison avec une vente divers amateurs menée par la redécouverte d’une paire de rapa de l’Île de Pâques.

La saison en quelques chiffres

Figure Uli, Nouvelle-Irlande.
© Christie’s

En quatre ventes, ce sont 116 œuvres qui ont été proposées sur le marché, 91 ont trouvé preneur soit environ 79%, preuve du succès de l’art océanien qui s’affirme comme véritablement complémentaire de l’art africain sur le marché. Si les trois enchères millionnaires, sur lesquelles nous reviendront, sont indéniablement les résultats principaux de cette saison, d’autres chiffres sont également à noter car ils témoignent de l’évolution constante des valeurs pour les œuvres rares et de qualité. Au total, huit pièces illustrant les esthétiques variées des différentes régions d’Océanie se sont envolées entre 200 000 et 900 000 euros. Au sein de la collection Vérité remarquons notamment le majestueux Tiki des Îles Marquises (150 000 – 200 000 € : 847 500 €), le très bel hei tiki de l’ancienne collection Webster (20 000 – 30 000 € : 271 500 €) ou encore le masque kanak appartenant autrefois à André Level (60 000 – 80 000 € : 343 500 €). Le lendemain, porté par le succès de la veille, trois autres œuvres ont confirmé cette attraction : une rare sculpture Ti’i des Îles de la Société (300 000 – 500 000 : 307 500 €), une seconde des Îles Fidji longtemps conservée au Tropenmuseum d’Amsterdam (200 000 – 300 000 : 391 500 €) mais surtout un rarissime bâton de divinité provenant d’Hawaii qui s’est envolé à 895 500 € (300 000 – 500 000 €). Enfin, chez Sotheby’s le 12 décembre, une très belle planche gope acquise in situ par Thomas Schultze-Westrum ca. 1966, a quintuplé son estimation basse pour atteindre 200 000 € (40 000 – 60 000 €).

Ces résultats significatifs se reflètent également sur les objets aux valeurs moins élevées qui ont très souvent dépassé leurs estimations hautes. Prenons pour exemple la très belle flèche faitière kanak de l’ancienne collection Mac Orlan (25 000 – 35 000 € : 93 750 €) ou l’imposante statue du Bas Sépik (30 000 – 50 000 : 68 750 €) toutes deux offertes par Sotheby’s.

Nouveaux records et enchères millionnaires

Paire de rapa, Île de Pâques. © Sotheby’s

Outre ces chiffres essentiels à l’analyse du marché, trois œuvres ont véritablement marqué les esprits. Il est intéressant de remarquer que, malgré des caractéristiques communes – rareté, exceptionnalité, beauté – chacune de ces pièces s’affirmait par une qualité intrinsèque. Pièce majeure de la saison, la statue de Ku Ka’ili Moku dieu de la guerre Hawaiien, s’imposait non seulement par sa rareté que par la puissance expressive de sa sculpture. Offerte par Christie’s lors de la vente consacrée à la Collection Vérité le 21 novembre dernier, cette œuvre – à l’estimation non communiquée – a suscité une longue bataille d’enchères atteignant finalement 6 345 000 €. Ce chiffre est non seulement le plus haut pour une pièce d’art polynésien mais c’est également le nouveau record pour une œuvre océanienne présentée en vente aux enchères (il était jusqu’alors détenu par le Uli autrefois dans les collections du Museum Für Völkerkunde de Berlin qui avait été vendu par Sotheby’s à New York le 7 mai 2016 pour 3 991 051 €). Lors de cette vente une seconde pièce s’est distinguée : le Uli noir de l’ancienne collection Silvia et Pierre Loeb. Outre les qualités communes à ces trois chefs-d’œuvre, cette sculpture présentait un pedigree et un historique remarquables. Acquise in situ en 1909-10 par Augustin Krämer elle avait été exposée dès 1930 dans l’exposition majeure « Exposition d’art africain et océanien » de la Galerie Pigalle entre février et avril 1930. Les amateurs ont su discerner l’ensemble des qualités esthétiques et historiques de ce Uli qui a quasiment multiplié par quinze son estimation basse s’envolant à 2 970 000 € (200 000 – 300 000 €) et se plaçant ainsi à la quatrième place des meilleurs prix de l’art Océanien.

Pour finir, Sotheby’s présentait à Paris le 12 décembre, pour la première fois dans l’histoire des ventes aux enchères, une paire de rapa de l’Île de Pâques. Redécouverte majeure dans le corpus très restreint de ces créations emblématiques, ces pièces ont, au même titre que le Dieu d’Hawaii, suscité l’intérêt et l’admiration des amateurs dès leurs premières expositions. Apothéose de l’esthétique épurée des créations polynésiennes, ces œuvres ont marqué un nouveau record pour une pièce de l’Île de Pâques atteignant 3 876 700 € (1 000 000 – 1 500 000 €) jusqu’alors détenu par une rapa unique vendue le 10 décembre 2014 par Sotheby’s (1 889 500 €).

Chamboulant le classement des records de l’art océanien en vente aux enchères, cette saison marque, chez les deux maisons internationales, une place de plus en plus importante des créations océaniennes au sein du marché. Nouveaux records, estimations multipliées, taux d’invendus extrêmement faible, ces quatre ventes ont affirmé un intérêt croissant pour ces esthétiques sachant toucher non seulement les amateurs traditionnels de cette spécialité mais aussi un ensemble beaucoup plus large de collectionneurs séduits par les qualités multiples des chefs-d’œuvre de notre spécialité.

Pierre Mollfulleda

Tous les prix sont indiqués en prenant en compte la commission acheteur.

Pour plus d'informations :

Pierre Mollfulleda

Grâce à une enfance heureuse sous les cocotiers de Tahiti, Pierre a développé très tôt une passion pour l’art polynésien. Ses navigations entre les Marquises, les Australes, la Nouvelle-Zélande ou encore l’île de Pâques n’ont fait que confirmer cet élan naturel qui l’entraîne aujourd’hui. Les voyages sous les tropiques cependant terminés, Pierre est dorénavant Spécialiste chez Sotheby’s sous le ciel gris parisien et sera l’œil du marché de l’art pour CASOAR.

Précédent
Précédent

Vers l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie ?

Suivant
Suivant

"Anciennes collections, nouvelles obligations" : la réunion annuelle de la Pacific Arts Association