Hinemihi o te Tawhito dans le Surrey : conserver un bien culturel en exil (partie 2)
"[...] Yes, I am there to welcome you ... we lament the dead
I wait for the whaikorero to start,
Yes, you acknowledge me, and I you
I wait for the tamariki, they on my paepae
Yes, I cry, for they fill me with pride and hopeI wait for the rhythm of the kapahaka...
Yes, I can dance along ... I know your songsI wait for the smell of the kei to emerge from the ground,
Yes, I will eat with you and you with me
We feed a need to perpetuate the past and the present
And in doing so we bring forth Rongomatane and Papatuanuku
So who invited Tu ?"
So who invited tu ?, Rosanna Raymonds
Reprenons le cours de l'histoire d'Hinemihi là où nous l'avions laissé au précédent article. La seconde moitié du XXème siècle fut l'occasion pour Hinemihi de se reconnecter à un réseau de relations socio-culturelles qui avait été détruit lors de son exil, cependant il reste limité. Ngati Hinemihi reste loin géographiquement d'Hinemihi et les capacités de la communauté maori basée au Royaume-Uni à la maintenir en activité font face à quelques limites.Les premières sont purement pratiques : manque de temps personnel, éloignement de Londres, site mal desservi par les transports en commun, problème d'accessibilité car l'accès à la résidence de Clandon Park est payant même s'il y a un arrangement informel pour ceux qui ne veulent voir qu'Hinemihi (qui n'est pas toujours respecté). Le climat anglais joue également un rôle important car Hinemihi a un sol en terre battu, n'est pas isolée thermiquement, ni chauffée ou raccordée à l’électricité (non éclairée donc). Ces conditions font qu'elle est plutôt visitée et utilisée durant les mois d'été uniquement.1
Les secondes sont liés aux questionnements de la communauté maori britannique vis-à-vis de son identité. D'abord tous ses membres sont originaires de communautés maori diverses, ce qui entraîne des différences protocolaires et culturelles parfois délicates à gérer. Ensuite c'est une communauté plutôt jeune et temporaire (même si certaines familles sont présentes au Royaume-Uni depuis plusieurs générations).2 Il est alors complexe de développer un « noyau » stable de personnes âgées avec un grand savoir « traditionnel » suffisant pour les assurer de leur légitimité à conduire certaines cérémonies car beaucoup ne se sentent pas forcément confortable dans ce rôle.Malgré la volonté des deux groupes de prendre soin d'Hinemihi, ils reconnaissent que l'organisation n'est pas suffisante et qu'il reste encore à mettre en place des structures associatives et institutionnelles plus rigoureuses pour s'assurer du bien-être socio-culturel d'Hinemihi. La question de sa préservation matérielle est toujours aussi importante, car malgré des campagnes de restauration fréquentes, le fait qu'elle soit en extérieur implique une dégradation continue qui nécessite un entretien fréquent.
Depuis les années 1990, le National Trust a changé son paradigme d'approche de la préservation du patrimoine. Accordant une plus grande place au social et au communautaire, afin de réfléchir à toutes les significations culturelles auxquelles le patrimoine qu'il conserve pourrait être lié.3 Ce revirement a remis sur la table la gestion collaborative de la conservation d'Hinemihi (qui avait été d'abord refusée en 1995 malgré la reconnaissance du lien entre Ngati Hinemihi et la whare).
Une étude de son état de conservation et de la stratigraphie des couches de peinture est menée par les étudiants de University College of London (UCL) à partir de 2003 afin de pouvoir présenter une base de travail pour les choix de conservation collaboratif (cependant la possibilité de réaliser ou non cette étude matérielle, notamment des échantillons stratigraphiques, avait été demandée aux deux communautés maori concernées, et des bénédictions ont été réalisée par Ngati Ranana avant que l'étude commence).4 À partir de 2004, commence l'organisation du « Maintenance day » afin de faire de petites rénovations avant le Kohanga Reo Hangi en juin. Elle est le point de rencontre de bénévoles du National Trust, de la communauté maori et d'étudiants de UCL. Cette journée permet de créer un réseau de relations entre personnes de communautés différentes centrées sur Hinemihi, ce qui est un moyen de transmission de savoir maori aux jeunes générations ainsi qu'une porte d'entrée vers cette culture pour les non-Maori.5
La même année est lancée une consultation formelle de Ngati Hinemihi et de la communauté maori basée au Royaume-Uni qui vise à former un groupe d'ayants droits (« stakholders »). Les échanges révèlent que la volonté des Maori n'est pas de revenir à un état matériel historique correspondant à son existence pré-éruption (comme le pensait le NT) mais plutôt de l'aménager de façon à être plus adaptée à recevoir des cérémonies et des activités culturelles (sol, isolation, électricité,..).6 En résumé, les ayants droits veulent que le projet de conservation soit tourné vers le présent et les besoins de la culture maori contemporaine. Il fut alors décidé d'adopter un projet de conservation non centré sur l'historicité d'Hinemihi mais sur son existence en tant qu'objet central d'un réseau de relations socio-culturelles dont les membres sont issus de milieux différents.
Vers la fin des années 2010, le NT propose d'essayer de faire fonctionner Hinemihi comme un marae dans le cadre du processus formel de consultation, ce qui est bien reçu par Ngati Hinemihi et les Maori Britanniques. Dans la suite de ce processus émerge la volonté d'identifier « Hinemihi's people » (litt. « le peuple d'Hinemihi »), une communauté spécifiquement construite afin de former un réseau de soutien durable pour la préservation et la gestion d'Hinemihi.7 Hinemihi deviendrait également un centre pour l'expression de la culture maori en Grande-Bretagne, à la rencontre du public britannique mais également un support pour les communautés de la diaspora qui cherchent à définir leur identité spécifique en tant que Maori Britannique, regroupés dans une communauté urbaine "pan-tribale".8
Cette communauté dépasserait les limites de Ngati Hinemihi et de la communauté maori britannique. En effet, elle concernerait aussi certaines institutions et associations néo-zélandaises, les communautés néo-zélandaises (non maori) et polynésiennes au Royaume-Uni mais également le public britannique (visiteurs de Clandon Park, bénévoles du National Trust, universitaires et étudiants, artistes et résidents locaux). En plus des événements publics annuels organisés par les associations culturelles maori, des événements spécifiquement dédiés à la construction d'une communauté ont été organisés. Ils prennent place au sein du programme « whareNOW »9 qui est un partenariat collaboratif entre les communautés maori et polynésiennes au Royaume-Uni et UCL en place depuis 2009. Il a pour ambition de développer des objectifs communautaires partagés, d'encourager et de documenter les relations entre Hinemihi et son « peuple » (discussion, workshop, partage de savoir, site internet...). Il espère aussi réussir à dépasser l'isolation physique d'Hinemihi pour réussir à mieux l'intégrer dans la vie de son « peuple » en Aotearoa et au Royaume-Uni. Il s'inclut dans un projet de recherche plus large d'enquêtes sur les méthodes de conservation-restauration participatives et sur l'utilisation d'épistémologies alternatives dans la préservation du patrimoine culturel.10
Le programme « WhareNOW » est perçu comme la première étape de densification des relations entre Hinemihi et son peuple, dans le but de créer une communauté stable pour assurer sa conservation. Le premier événement (2009) organisé à la demande de la diaspora maori fut un wananga (workshop) parents/enfants dans un but pédagogique de transmission de savoir culturel maori. Le second (2010) fut plus axé sur des ateliers des domaines liés à la conservation de la wharenui11 (sculpture, peinture, tressage). Il en résulte la création de l'association Te Maru o Hinemihi (« in the embrace of Hinemihi ») en 2012, qui est la première manifestation d'une structure organisée pour suivre efficacement la préservation d'Hinemihi à rassembler des individus et non des groupes communautaires (en collaboration avec le NT et les ayant droits culturels principaux, certains des membres de cette association appartiennent à Ngati Hinemihi ou à la diaspora maori en Grande-Bretagne).12
L'association a conduit une enquête entre 2012 et 2013 auprès d'« Hinemihi's people » afin de déterminer les futures stratégies de conservation en proposant 5 options. Ce sont les « 5 R » : Repair (préservation matérielle de la forme existante, sorte de statu quo), Restore (Restauration d'Hinemihi dans une forme antérieure, comme celle de 1880), Reuse (réhabilitation pour une utilisation contemporaine : nouveau sol, isolation, électricité,... en plus de sa « restauration »), Redevelop (reprend les deux points précédents en rajoutant la construction de lieux subsidiaires à proximité pour permettre son utilisation comme un vrai marae), Relocate (déplacement dans un lieu plus adapté à sa conservation, comme un musée, voire rapatriement à Aotearoa)13. En 2013, les résultats de ce sondage concluent à une préférence pour le "R4"14, c'est à dire le re-développement pour en faire un lieu beaucoup plus fonctionnel pour les activités culturelles par l'ajout de bâtiments annexes en dur, contenant notamment des équipements cuisine et hygiène (toilettes, douches,..). Il est également question d'un auvent pour abriter les performances en cas de mauvais temps, permanent ou facilement déployable. Cependant, suite à l'incendie de la résidence de Clandon Park en 2015, ce processus a été fortement ralenti. Certaines sculptures ont été retirées afin de ralentir leur dégradation et une protection a été installée au dessus du toit.15
Le projet de conservation d'Hinemihi en exil est un bon exemple pour constater l'évolution des pratiques en conservation-restauration participative. La communauté socio-culturelle d'origine, Ngati Hinemihi, est ignorée pendant la majeure partie du XXème siècle et réussit finalement à s'imposer grâce à son don de sculptures au National Trust qui scelle le début de leur relation. Cependant elle reste assez inégalitaire jusqu'au début des années 2000, car reposant sur le bon vouloir du National Trust. Ce n'est qu'au début XXIème que l'on commence à s'intéresser aux communautés socialement, culturellement et historiquement connectées à Hinemihi et à leurs points de vue sur sa conservation. La prééminence de la responsabilité de Ngati Hinemihi par rapport aux autres groupes maori pour sa préservation ne fait aucun doute selon le tangata whenua. Cependant la distance géographique est un obstacle majeur à la participation physique à sa conservation, autant matérielle que spirituelle. L’identification de la communauté maori britannique comme des délégués plus à même d'effectuer ces tâches se fait en même temps que la réappropriation de la wharenui par Ngati Hinemihi. Mais comme décrit plus haut, cela reste insuffisant pour la préservation matérielle et spirituelle d'Hinemihi. Le projet de conservation s'orienta alors vers la recherche d'« Hinemihi's people », un réseau de relations centrées autour d'elle et formant une communauté capable d'assurer sa conservation. Il n'est donc ici pas uniquement question d’identifier et de restituer le contexte socio-culturel du bien culturel. L'enjeu de conservation-restauration était d'encourager la création d'une partie de ce réseau socio-culturel. Les nouvelles relations créées sont des produits du projet de conservation. Outre la propre préservation de la wharenui, le projet ajoute de nouveaux enjeux. D'abord, l'expression de la culture maori au sein du Royaume-Uni ; Hinemihi est un point de rencontre avec cette culture pour les britanniques. Elle affirme sa place au sein de cet État multiculturel mais est également un moyen d'évoquer la question coloniale. Hinemihi est également un espace de réflexion sur l'identité maori britannique et sur son lien avec le tangata whenua.
Ce type de projet, qui se décentre du bien culturel pour mieux pouvoir le servir, reste encore très singulier dans le paysage de la discipline de la conservation-restauration (surtout en Europe). Dans ce projet, la conservation-restauration élargit ses enjeux et donc sa portée sociale et politique16, ce qui permet aux problématiques de préservation du patrimoine de gagner en visibilité. La collaboration entre les différentes parties intéressées et le recours à des méthodologies participatives ont ouvert des perspectives nouvelles et enrichissantes pour la préservation d'Hinemihi.
Morgane Martin
1 BURROWS, K., 2007. « Hinemihi and the london maori community ». In SULLY, D., (ed.), Decoloninsing Conservation : Caring for maori houses outside New-Zeland. Walnut Creek (CA), Left Coast Press, p. 165.
2 Toujours selon l'article de Burrows (2007), il est possible que ces tendances démographiques aient évoluées depuis 2007.
3 DELONG LAWLOR, J., LITHGOW, K., 2007. « The National Trust and Hinemihi at Clandon Park ». In SULLY, D., (ed.), Decoloninsing Conservation : Caring for maori houses outside New-Zeland. Walnut Creek (CA), Left Coast Press, p. 150.
4 SULLY, D., POMBO CARDOSO, I., 2007, « Conserving Hinemihi at the Clandon Park, UK ». In SULLY, D., (ed.), Decoloninsing Conservation : Caring for maori houses outside New-Zeland. Walnut Creek (CA), Left Coast Press, p. 207.
5 SULLY, D., RAYMOND, R., HOETE, A., 2014. « Locating Hinemihi's people ». Journal of Material Culture, vol. 19, n°2, p. 12.
6 SULLY, D., POMBO CARDOSO, I., 2007, « Conserving Hinemihi at the Clandon Park, UK ». In SULLY, D., (ed.), Decoloninsing Conservation : Caring for maori houses outside New-Zeland. Walnut Creek (CA), Left Coast Press, p. 217.
7 SULLY, D., RAYMOND, R., HOETE, A., 2014. « Locating Hinemihi's people ». Journal of Material Culture, vol. 19, n°2, p. 3.
8 SULLY, D., RAYMOND, R., HOETE, A., 2014. « Locating Hinemihi's people ». Journal of Material Culture, vol. 19, n°2, p. 8.
9 SULLY, D., RAYMOND, R., HOETE, A., 2014. « Locating Hinemihi's people ». Journal of Material Culture, vol. 19, n°2, p. 3.
10 SULLY, D., RAYMOND, R., HOETE, A., 2014. « Locating Hinemihi's people ». Journal of Material Culture, vol. 19, n°2, p. 10.
11 Activités qui suivent le modèles néo-zélandais qui favorise la conservation du patrimoine maori par la participation directe de la communauté sous la forme de workshop techniques qui transmettent des connaissances de façon inter-générationnelle. Les participants de toutes origines sont acceptés.
12 SULLY, D., RAYMOND, R., HOETE, A., 2014. « Locating Hinemihi's people ». Journal of Material Culture, vol. 19, n°2, p. 3.
13 SULLY, D., RAYMOND, R., HOETE, A., 2014. « Locating Hinemihi's people ». Journal of Material Culture, vol. 19, n°2, p. 14.
14 http://www.hinemihi.co.uk/page.php?id=21&page=142&subpage=126, consulté le 10/06/2020
15 https://www.nationaltrust.org.uk/clandon-park/features/restoring-hinemihi-at-clandon-park, consulté le 10/06/2020
16 SLOGGETT, R., 2009. « Expanding the conservation canon : Assessing cross-cultural and interdisciplinary collaborations in conservation ». Studies in Conservation, vol. 54, n°3, p. 180.
Bibliographie :
BURROWS, K., 2007. « Hinemihi and the london maori community ». In SULLY, D., (ed.), Decoloninsing Conservation : Caring for maori houses outside New-Zeland. Walnut Creek (CA), Left Coast Press, pp. 161-172.
DELONG LAWLOR, J., LITHGOW, K., 2007. « The National Trust and Hinemihi at Clandon Park ». In SULLY, D., (ed.), Decoloninsing Conservation : Caring for maori houses outside New-Zeland. Walnut Creek (CA), Left Coast Press, pp. 149-159.
RAYMONDS, R., 2007. « So who invited tu ? ». In SULLY, D., (ed.), Decoloninsing Conservation : Caring for maori houses outside New-Zeland. Walnut Creek (CA), Left Coast Press, p. 147.
SLOGGETT, R., 2009. « Expanding the conservation canon : Assessing cross-cultural and interdisciplinary collaborations in conservation ». Studies in Conservation, vol. 54, n°3, pp. 170-183.
SULLY, D., POMBO CARDOSO, I., 2007, « Conserving Hinemihi at the Clandon Park, UK ». In SULLY, D., (ed.), Decoloninsing Conservation : Caring for maori houses outside New-Zeland. Walnut Creek (CA), Left Coast Press, pp. 199-219.
SULLY, D., RAYMOND, R., HOETE, A., 2014. « Locating Hinemihi's people ». Journal of Material Culture, vol. 19, n°2, pp. 209-229.
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