Lilo & Stitch ou le mythe polynésien

Lilo & Stitch © DisneyPixar.fr

Cette semaine, CASOAR s’intéresse au film d’animation Lilo & Stitch (non, ce n’est pas une excuse pour le regarder une énième fois !). Eh oui, CASOAR réouvre le dossier sur l’imaginaire occidental porté sur les îles « des Mers du Sud » !

Avant d’aller plus loin, il est important de donner un aperçu général de ce film d’animation produit par Walt Disney Pictures et réalisé par Dean DeBlois et Chris Sanders en 2002. Il s’agit de l’histoire de Lilo, une petite hawaiienne orpheline de six ans élevée par sa soeur aînée, Nani. Un jour, elle adopte dans un refuge malgré les réticences de sa soeur, un animal étrange qu’elle nomme Stitch. Cet animal s’avère être en réalité un fugitif extraterrestre, création d’un scientifique fou, Dr Jumba Jookiba, programmée pour tout détruire. Une relation d’amitié se crée toutefois entre la jeune fille et son animal. La famille est chamboulée par, d’une part, l’agent Cobra Bubbles qui souhaite retirer la garde de Lilo à sa soeur et d’autre part, par l’arrivée d’extraterrestres, Captain Gantu et Dr Jumba Jookiba souhaitant capturer Stitch. (Attention SPOILER) Après de multiples péripéties, tous ces problèmes se résolvent et Stitch reste vivre avec Lilo et Nani, formant une famille de nouveau unie puisque « Ohana signifie famille et famille signifie que personne ne doit être oublié ou abandonné ».

Des références à la culture hawaiienne

Le film se déroule dans un petit village côtier sur l’île Kaua’i dans l’archipel d’Hawaii. Le spectateur peut s’attendre à une description de la culture hawaiienne actuelle et retrouve à ce titre quelques références connues : la danse du hula en premier lieu. Nous la retrouvons tout au long du film, particulièrement dans le générique qui dévoile une alternance de scènes entre Lilo nageant dans les fonds marins hawaiiens et des danseuses de hula. Nous observons alors cinq femmes au physique proche, le teint hâlé et la chevelure brune. Elles sont vêtues d’une jupe en feuilles et d’ornements végétaux aux chevilles, aux poignets ainsi que d’une couronne. Elles exécutent la danse composée de mouvements amples des bras et des mouvements ondulants des hanches. Elles sont accompagnées par deux musiciens assis avec leur calebasse, instrument hawaiien utilisé pour accompagner le hula et appelé ipu heke. La scène s’accompagne d’une chanson intitulée Hele Mele no Lilo. Il est intéressant de noter que cette chanson est exécutée par un chœur d’élèves de l’école Kamehameha d’Honolulu. Ce chant en hawaiien glorifie le dernier roi d’Hawaii, David Kalakaua (r. 1874 – 1891). La référence n’est pas anodine puisque c’est une figure importante pour la pratique contemporaine du hula et plus généralement pour la culture hawaiienne. Ce roi autorise la pratique du hula, interdite par une loi missionnaire en 1859 car jugée trop lascive. Il organise notamment en 1883 lors de sa cérémonie d’intronisation au Palace ‘Iolani des chants hula kui et des récitals généalogiques. Il est considéré comme le Merrie Monarch1 pour son amour de la musique et du hula2. Son importance persiste encore actuellement puisqu’est organisé chaque année un festival de danse hula à Hilo (Hawai’i) créé en 1963. C’est d’ailleurs à ce festival que l’on assiste à la fin du film. On peut voir une estrade sur laquelle on retrouve toutes les danseuses de la scène du générique. Des affiches sont accrochées derrière la scène et donnent clairement le nom de Merrie Monarch Festival et le portrait officiel de David Kalakaua.3

On retrouve également certains détails faisant référence à la culture hawaiienne avec par exemple l’écriteau placé sur la porte de la chambre de Lilo. Il est indiqué « kapu », terme renvoyant à l’ancien système de conduite hawaiien, faisant référence à un endroit interdit car investi d’une puissance ancestrale, le mana. Le film donne ainsi quelques détails faisant référence à l’histoire culturelle hawaiienne.

Gauche : Extrait du film Lilo & Stitch © Walt Disney Picture, 2002. Droite : Photo du festival Merrie Monarch de 2017 dans la catégorie hula kahiko © merriemonarch.com

Lilo & Stitch ou le mythe polynésien américain

Le film est surtout comme on va le voir le reflet d’une vision étatsunienne sur Hawaii et plus globalement sur l’ensemble de la Polynésie. Plus que de montrer l’Autre, ce film d’animation met en avant l’imaginaire américain sur la culture hawaiienne. Cet imaginaire est à rattacher d’une part aux récits des explorateurs et des missionnaires et d’autre part, au phénomène dit Tiki Pop qui a submergé la culture américaine dans les années 50 et 60. Cette fascination de l’Amérique pour Hawaii atteint son apogée en 1959 lorsque l’archipel devient un état américain. Cet évènement est décisif : « puisque les Hawaiiens sont américains, l’Amérique devient hawaiienne »4.

Le film reprend certes le phénomène culturel important de la danse hula, mais il reste traité d’un point de vue américain. Cette danse comme le dit Roger Boulay, « hante l’imagerie des mers du Sud » : la vision érotique et sensuelle de la femme polynésienne se retrouve dans plusieurs récits de voyageurs.

« Charles, qui regardait les danseuses, n’en revenait pas de leurs gestes lascifs, de leur attitude luxurieuse. Certaines avaient un ventre si mobile et si robuste qu’un seul mouvement de muscle relevait haut le tapa qui cachait à peine leur sexe » (GAILLARD, A., 1956. L’Archipel des voluptés. Paris, Éditions Fleuve Noir).

La danseuse évolue dans une mer de clichés allant de la femme idyllique à la créature divine, l’Eve de ce cadre paradisiaque. Cette vision idéalisée oscille entre la vision du bon sauvage de Rousseau et celle de la femme sensuelle de Gauguin.5 La danseuse de hula devient un sex-symbol pour l’industrie du divertissement américain. Sven Kirsten montre bien que ce cliché de la tentatrice polynésienne sans complexe est partagé par tous et que les médias ne le démentent pas, bien au contraire. Elle est l’échappatoire exotique et érotique de la frénésie moderne américaine.6 On peut retrouver une telle vision avec Nani dont la beauté idéale conforte bien cet imaginaire.

Pour compléter le costume polynésien, il manque le look vahiné et surtout la chemise aloha (dite aussi chemise hawaiienne pour tes vacances dans le Sud). On la retrouve à de nombreuses occasions dans le film, sous la forme de chemises véritablement ou dans les motifs des robes de Lilo. Le nom de chemise aloha vient de leur créateur, Ellery Chun. En 1936, il reprend sur des chemises des motifs issus de tapa (étoffe d’écorce battue traditionnelle que l’on retrouve dans une grande partie de la Polynésie). Ces chemises sont imprimées en Californie puis envoyées à Hawaii où elles sont vendues comme souvenir aux Occidentaux.7 Cette image envahit les écrans à travers les productions hollywoodiennes. On peut citer le film Sous le ciel bleu de Hawaï de 1961 dans lequel le personnage principal est interprété par Elvis Presley. On retrouve d’ailleurs dans Lilo & Stitch un portrait du chanteur-acteur extrait de ce film : référence dans la référence.

Elvis Presley est une figure importante dans le film d’animation ; on le retrouve à plusieurs reprises. Il compose également l’album Blue Hawaï en 1961 pour la bande-son du film Sous le ciel bleu de Hawaï. L’importance de Hawaii s’exprime également dans la musique, marquée par l’influence des ukulélés et des glissandos des guitares. La chanson Ukulele Lady créée en 1925 par Gus Kahn sur une musique de Richard A. Whisting apparaît comme un bon exemple8.

L’autre référence importante au mouvement Tiki Pop est l’importance des bars, restaurants et lieux de divertissement hawaiiens. Ces lieux sont décorés dans l’idée de faire voyager les clients à la fois à l’aide des matériaux naturels qui s’opposent aux constructions industrielles de béton et d’acier, mais aussi par la décoration de figures sculptées d’inspiration océanienne appelées tiki. On retrouve de telles structures dans le bar-restaurant dans lequel travaille Nani. Ces structures accueillent des spectacles attirant la bourgeoisie américaine, les maris pouvant admirer les danseuses de hula tandis que les femmes ne perdaient pas une miette des tours de cracheur de feu des jeunes et musculeux tongiens.9 C’est ce que l’on retrouve avec le spectacle de David, l’ami de Nani.

Gauche : Extrait du film Lilo & Stitch © Walt Disney Picture, 2002. Droite: Danse du feu des îles Samoa par Roger McVicker, 1957 © S. KIRSTEN, 2014, p. 256.

Le style hawaiien envahit également les intérieurs américains à travers une grande variété de mobiliers reprenant toutes les images mythiques de la Polynésie : la vahiné, les plages de cocotiers, les motifs des chemises aloha. Ces éléments se retrouvent dans la maison de Lilo et Nani avec par exemple la lampe de chevet de Lilo dont le support est constitué d’une danseuse de hula émergeant d’une conque. La chambre de Nani apparaît comme un sanctuaire de cette décoration d’influence hawaiienne avec un drap à motif d’hibiscus, une lampe ananas avec des vues de plages de cocotiers et une tête de lit gravée de cocotiers.

Gauche:  Extrait du film Lilo & Stitch © Walt Disney Picture, 2002. Droite : Lampe avec motif de danseuse de hula © isabellevea.me

Finalement, le film d’animation Lilo et Stitch renvoie bien plus, comme on l’a vu, à une vision idéalisée de Hawaii qu’à une réalité culturelle hawaiienne. Alors, que transmet le film ? Est-ce une critique de cette vision idéalisée ? On pourrait lire une telle version dans la représentation des touristes occidentaux caricaturaux qui grouillent sur les plages de Kaua’i. Mais, dans le même temps, le film semble conforter une vision occidentale de la Polynésie à travers la représentation d’un cadre paradisiaque que vient seulement déranger l’arrivée d’extraterrestres. La production de films sur les Polynésiens pose donc de nombreuses questions, comme on a pu le voir récemment à la sortie de Vaiana, et les nombreux débats sur l’appropriation culturelle qu’elle a suscités.10 En attendant, il semblerait que les clichés sur les cultures océaniennes aient encore la part belle …

Enzo Hamel

1 Merrie est l’ancienne forme anglaise de Merry, Merrie Monarch signifiant le Monarque joyeux.

2 LEMARIE J., 2016. « Débattre des performances culturelles hawaiiennes au XIXe siècle » in Journal de la Société des Océanistes, Vol. 1, n°142-143, p. 165.

3 http://www.merriemonarch.com/

4 KIRSTEN, S., 2014. Tiki Pop. Cologne, Taschen, p. 209.

5 BOULAY, R., 2000. Kannibals et vahinés : imagerie des mers du Sud. Paris, Réunion des musées nationaux.

6 KIRSTEN, S., 2014. Tiki Pop. Cologne, Taschen, p. 151.

7 Voir l’ouvrage La chemise hawaïenne, Thomas Steel.

8 BOULAY, R., 2000. Kannibals et vahinés : imagerie des mers du Sud. Paris, Réunion des musées nationaux.

9 KIRSTEN, S., 2014. Tiki Pop, l’Amérique rêve son paradis polynésien. Cologne, Taschen, p.79.

10 Voir la publication de l’anthropologue Vince Diaz sur la sortie de Vaiana au cinéma. https://www.facebook.com/vdiaz1103/posts/10210043131216590

Bibliographie :

  • BOULAY, R., 2000. Kannibals et vahinés : imagerie des mers du Sud. Paris, Réunion des musées nationaux.

  • KIRSTEN, S., 2014. Tiki Pop, L’Amérique rêve son paradis polynésien. Cologne, Taschen.

  • LEMARIE, J., 2016. « Débattre des performances culturelles hawaiiennes au XIXème siècle » in Journal de la Société des Océanistes, Vol. 1, n°142-143, pp. 159 – 173.

 

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