À la Poursuite de Ricky Baker : une comédie aux racines de la culture néo-zélandaise

Visuel pour le film À la Poursuite de Ricky Baker, 2016. © Taika Waititi

Affiche en version originale de À la Poursuite de Ricky Baker, 2016. ©Taika Waititi

En 2016, alors que le Disney Vaiana, la Légende du Bout du Monde culminait au box-office français, sortait plus discrètement À La Poursuite de Ricky Baker1, du réalisateur néo-zélandais alors peu connu Taika Waititi. Si le nouveau-né du géant américain a le mérite de transcrire l’attachement à la mer des Polynésiens, la comédie déjantée de Taika Waititi ancre son récit dans les terres, au cœur de la forêt primaire néo-zélandaise. Cette pépite, librement adaptée du roman de Barry Crump, Wild Pork and Watercress paru en 1985 lançait la carrière de son réalisateur à l’international, et se hissait parmi les références du cinéma néo-zélandais. Avec son ton doux-amer, cette comédie déjantée nous ramène aux racines de la culture Māori et questionne tout en subtilité les inégalités qui marquent l’archipel.

Une traque à l’homme haute en couleur dans la forêt

À la Poursuite de Ricky Baker c’est le récit d’une fuite. La folle échappée de deux compagnons que tout oppose. D’un côté, Ricky Baker, un jeune Māori orphelin et rebelle qui cache sa sensibilité sous des couches de sweat-shirt bariolés. De l’autre, Hec, homme bourru et solitaire, incapable de lire une phrase et qui fuit la compagnie humaine. Entre les deux, Bella Faulkner, débordante de vie et d’amour qui a recueilli l’un et l’autre dans sa ferme à l’orée de la forêt.  À la suite d’une série d’événements, ils se retrouvent pris pour cible d’une traque ubuesque à travers la forêt, par les autorités et les services sociaux. Les deux personnages apprennent lentement à cohabiter et à faire avec les travers de l’autre, cachés dans la forêt et survivant grâce à elle. Sam Neil et Julian Dennison sont parfaits dans leur rôle. Le jeu est juste. L’écriture pointue. Le pari est réussi : le film fait rire autant qu’il émeut.

Un hommage tout en délicatesse à la culture Māori

Des étendues vertes qui recouvrent jusqu’aux montagnes. Des hêtres centenaires qui s’enchainent pour assombrir les palmes, les lianes et les fougères. L’humidité, la mousse, et les ruisseaux qui entrechoquent les cailloux en dévalant les pentes. Un long plan d’introduction survole la majesté des forêts et des hauteurs de l’arrière-pays néo-zélandais. Cet endroit, c’est le bush.  Le ton est donné : ce film est un élan d’amour et de respect pour ce territoire, qui constitue l’ancrage et l’écrin du récit, et qui porte en lui tout un héritage Māori.

Le duo Ricky Baker (Julian Dennison) et Hec Faulkner (Sam Neil) au cœur du bush. À la Poursuite de Ricky Baker, 2016. ©Taika Waititi

Appelé notamment ngahere ou ngāherehere en Te Reo Māori2, cette forêt primaire occupait la majeure partie d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande avant l’installation des premiers Polynésiens, vers 1200 de notre ère. Même si les Māori n’y habitaient pas, ils connaissaient très bien ce territoire dans lequel ils chassaient, récoltaient des plantes médicinales, et dont ils utilisaient les arbres. Immense et à première vue impénétrable, il faut de solides connaissances pour l’arpenter sans s’y perdre et espérer profiter de la diversité extraordinaire qui le compose. Avec sa casquette léopard enfoncée sur la tête, son sweat rouge qui accentue son embonpoint et ses tennis bien blanches, Ricky Baker n’a pas le profil idéal pour fuir dans le bush. Lui, il vient de la ville, et il rêve de la vie de gangster que chantent ses idoles rappeurs. Il se retrouve vite déboussolé dans ce milieu inconfortable et absolument nouveau pour lui. Il est rejoint par Hec, qui lui connait bien le bush pour y avoir chassé le cochon sauvage pendant des années. Commence alors une cohabitation difficile mais fructueuse. Ses savoirs, Hec les transmets à Ricky. Il lui apprend à pécher l’anguille, à remonter les cours d’eau pour retrouver son chemin, et toutes les autres choses qu'il a apprises avec l'expérience. C’est cette actualisation de savoirs centenaires par la transmission orale qui assure la base de leur périple, puisqu’elle leur permet d’échapper à leurs assaillants et assure leur survie. Le bush, c’est aussi une grande présence spirituelle pour les Māori. Créé par Tāne, divinité aussi à l’origine du premier homme, c’est un lieu que des esprits gardent. La beauté des plans qui s’attardent sur des lieux majestueux, entre terre et ciel, et les ruines qui parsèment le chemin des deux héros s’en font l’écho. Surmédiatisé, Ricky se retrouve érigé en nouveau héros Māori. « Stay Māori » s’intitule le post d’un de ses admirateurs. C’est tout à la fois une famille et une communauté que finit par trouver le jeune adolescent.

La beauté des lieux arpentés par Ricky et Hec. À la Poursuite de Ricky Baker, 2016. ©Taika Waititi

Le bush, une valorisation récente

Si le bush a une grande importance pour les Māori, il en a également pour les néo-zélandais d’origine européenne, les Pākehā.3 Perçue comme un lieu hostile et impénétrable par les premiers colons, la forêt primaire a été largement déboisée au cours des XVIIIème et XIXème siècles, pour laisser place à des fermes et à des zones urbaines. Aujourd’hui, le bush constitue environ un quart de l’archipel. Il en recouvrait la moitié à l’arrivée des Britanniques. Depuis un siècle, une vision beaucoup plus positive de ce milieu s’est imposée. Cette forêt est unique. Une réserve extraordinaire de plantes et d’animaux endémiques, en partie préservée. Le bush est devenu un élément identitaire fort pour les Néo-zélandais. Hec, qui est Pākehā, a ainsi un attachement très fort au bush. S’il passe tant de temps à l’arpenter, c’est qu’il fuit la ville et la compagnie des hommes.

La fuite dans le bush : une manière d’échapper aux inégalités

Sous les traits de la comédie, Taika Waititi met en avant les inégalités qui marquent la société néo-zélandaise. Les deux protagonistes en font les frais. Hec est illettré : il n’a pas eu accès à une bonne éducation. Ricky est orphelin : sa mère était jeune et trop pauvre pour le garder. Tous deux sont aussi victimes du système carcéral néo-zélandais. Hec est un ancien détenu qui a purgé sa peine mais que la société ne veut pas réintégrer. Ricky est un « jeune à problèmes » traqué par les Services de protection de l’enfance pour être placé en maison de redressement. L’inégalité des Māori face au système carcéral est une problématique sociétale à Aotearoa/Nouvelle-Zélande. La moitié des détenus sont des Māori4, alors que ces derniers ne représentent qu’environ 15% de la population. Pour Ricky et Hec, le bush c’est la possibilité de fuir ce système et de se construire. Un lieu d’échappatoire et de liberté.

Le huia qui surprend les deux protagonistes. À la Poursuite de Ricky Baker, 2016. ©Taika Waititi

Comme le symbole du cœur du bush et de leur liberté, les deux comparses aperçoivent avec stupéfaction un huia dans les branches. L’huia dimorphe (Heteralocha acutirostris)5, était un oiseau endémique d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande, disparu dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Les Māori lui accordaient une grande sacralité et beaucoup de prestige. Aujourd’hui, on retrouve souvent sa représentation dans les arts contemporains comme un symbole des Māori et du lien à leur territoire. Photographier le huia devient ainsi la nouvelle quête de Ricky et Hec, qui soude leur amitié et leur avenir dans le bush. Le film s’achève sur cet élan d’espoir.

Gabrielle Maksud

1 Hunt for the Wilderpeople, en version originale.

2 Le Te Reo Māori est la langue Māori, de la famille des langues austronésiennes. Elle est, avec l’anglais et la langue des signes néo-zélandaise, l’une des trois langues officielles d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande depuis 1987.

3 Pākehā est le terme Māori généralement utilisé pour désigner les Néo-zélandais d’origine anglo-saxonne ou européenne.

4 Données de 2016 collectées par l’association Prison Insider.

5 Pour en savoir plus sur cet oiseau, c’est par ici.

Bibliographie :

Gabrielle Maksud

Après un coup de foudre pour les arts d’Océanie à son arrivée à l’École du Louvre, le cœur de Gabrielle balance entre deux océans : l’Atlantique de la Bretagne qui l’a vue grandir, et le Pacifique qu’elle rêve de découvrir. Ce qui la fascine plus que tout, ce sont les masques de l’archipel Bismarck et l’histoire de Rapa Nui, bien qu’elle s’intéresse de plus en plus à l’art contemporain polynésien.

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