Du naturalisme à l’art contemporain : le muséum d’histoire naturelle de La Rochelle

Salle des combles. © Photographie : Marion Bertin

Toujours situé dans l’ancien Hôtel du Gouvernement où il est installé depuis 1832, le muséum d’histoire naturelle et d’ethnographie de La Rochelle conserve des collections parmi les plus diverses et les plus riches de France. Le port de La Rochelle, qui figura parmi les ports négriers français les plus importants au XVIIIème siècle, avec ses possibilités de liaisons et communications avec une vaste partie du monde, ont permis à la municipalité de recueillir d’importants spécimens d’histoire naturelle ainsi que des objets venus des quatre coins du globe. Dans le domaine qui nous intéresse particulièrement, l’ensemble océanien comporte de nombreux objets rares voire uniques dans les collections publiques mondiales. Les fonds préservés par le musée, ainsi que son programme d’expositions temporaires et d’activités, en font ainsi un lieu incontournable que CASOAR vous fait découvrir cette semaine.

Cabinet Lafaille. © Photographie : Marion Bertin

La création du muséum

La galerie de zoologie. © Photographie : Marion Bertin

Le muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle trouve son origine dans le legs consenti par Clément Lafaille (1718-1782), érudit local, de l’ensemble de son cabinet à la Société des Belles-Lettres de la ville. La collection de ce « voyageur de cabinet »1 est d’abord présenté dans une salle de l’Hôtel de Ville, puis donne naissance au Muséum Lafaille, installé en 1832 dans l’ancien Hôtel du Gouvernement, bâtiment du XVIIIe siècle « donné à la Ville par Napoléon lors de son passage en 1808».2 Il est complété en 1835 par le Muséum régional Fleuriau, créé à l’initiative de naturalistes en lien avec la Société des Sciences Naturelles de la Charente Inférieure et consacré à la paléo-ethnologie. La vision universaliste du musée, ainsi que le lien entre naturalisme et sciences de l’homme, sont deux éléments qui perdurent par la suite jusqu’à aujourd’hui.

Les années 1920

Le début des années 1920 est une période particulièrement riche pour le muséum qui voit ses collections s’accroître et sa muséographie repensée. En 1922 et 1923, il jouit en effet d’un important dépôt de l’ancien musée de Marine du musée du Louvre, dont les collections ont progressivement été morcelées entre le musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye et le musée d’ethnographie du Trocadéro à partir du début du XXème siècle. Fondé en 1827 par Charles X, ce musée avait vocation à mettre en valeur les explorations maritimes menées par la France et exposait ainsi des objets issus des îles du Pacifique, nouvellement visitées par les Européens. Alors que les autres départements s’agrandissent progressivement et que naît un débat sur la fonction prééminente du musée du Louvre, voué à n’exposer que de l’art, et la place ou non des sociétés extra-occidentales en son sein, le musée de Marineest finalement démantelé. À la suite des premiers départs d’objets en 1905 et 1906, quelques cinq cent objets sont retrouvés dans les réserves du musée du Louvre en 19223, identifiés ou non, et le muséum de La Rochelle se propose des les accueillir. Ceci intervient au moment où le conservateur et directeur du musée depuis 1915, Étienne Loppé (1883-1954), envisage d’en réviser l’organisation avec le projet d’un musée général autour des pays lointains, particulièrement ceux avec lesquels le port de La Rochelle entretient des liaisons maritimes ou qui ont intégré l’empire colonial français.4 Le dépôt du musée du Louvre comprend des objets du monde entier, dont quelques-uns rapportés par Jules Dumont D’Urville au cours de ses voyages dans l’Océan Pacifique dans la première moitié du XIXème siècle. Ces pièces comptent parmi les plus anciennement arrivées en France.

Étienne Loppé ouvre ainsi quatorze nouvelles salles, consacrées spécialement à l’océanographie et comprenant des axes autour de l’ethnographie, de la pêche, de la navigation, de la biologie.5 Correspondant avec ses collègues officiant au sein d’autres institutions, Loppé est particulièrement conscient des débats concernant les prérogatives d’accrochage ayant cours à cette époque, majeure pour la réflexion du rôle et de l’aménagement des musées. L’agencement des vitrines dans les nouvelles salles est ainsi inspiré des préceptes de Georges Henri Rivière (1897-1985), alors directeur-adjoint du musée d’ethnographie du Trocadéro. Surnommé  le « magicien des vitrines »6, Rivière prône une plus grande sélection dans les objets présentés, afin de répondre à la formule « moins mais mieux ». Cette maxime trouve écho dans les propres volontés de Loppé qui accorde une large place à la « leçon de choses » dans le domaine pédagogique.7 Une double série, divisant musée d’enseignement et séries spécialisées, est mise en place, en alliant arts et techniques.8 Outre ses liens entretenus avec ses collègues, Loppé est également au centre d’un réseau d’amateurs et collectionneurs. Lui-même collectionneur, il fréquente les antiquaires et marchands, contribuant à des achats ou des échanges qui donnent lieu à de nombreuses acquisitions pour le muséum, notamment dans le domaine des arts océaniens. En outre, et ce qui fait une des richesses des collections océaniennes du musée de La Rochelle, ces contacts lui permettent d’acquérir des objets issus de régions ne faisant pas partie de l’ancien empire colonial français. Des objets de l’archipel Bismarck ou encore une statuette bicéphale de l’île de Pâques, exemple unique dans les collections publiques mondiales, font ainsi partie de ce beau fonds, qui comporte aussi de nombreux objets kanak et des îles Marquises.

Le muséum aujourd'hui

En 1994, Michèle Dunand, alors directrice du muséum, lance un important programme de rénovation qui permet de donner une large place à l’ethnologie. Le musée réouvre ses portes en 2007 avec une muséographie conservant le décor et l’ambiance d’origine, tout en alliant outils de visite interactifs. Ethnographie et histoire naturelle sont présentées à part égales, souvent en dialogue entre elles pour marquer leurs racines communes et ancrer le·a visiteur·se dans l’histoire du musée et des disciplines. L’ancien cabinet Lafaille a ainsi été conservé et rend compte de l’ambiance des cabinets de curiosités qui fleurirent en Europe au cours des XVIIIème et XIXème siècle et où étaient présentés pour l’étude spécimens naturels et artefacts.

La galerie de zoologie a également été maintenue dans son aspect ancien, plongeant aux racines du muséum du XIXème siècle. D’autres espaces ont toutefois été totalement réaménagés. Les objets extra-européens jouissent de deux espaces emprunt chacun d’ambiances différentes. Le premier étage inclut des salles lumineuses, situées à la suite de la galerie de zoologie, organisées selon une répartition régionale. Les objets présentés en vitrines, répondant plutôt à des usages quotidiens, sont agencés dans une perspective d’ordre formel. De nombreuses vitrines ont des fonds en verre ce qui permet une belle visibilité des objets.

Salle d’Océanie, galerie d’ethnographie. © Photographie : Marion Bertin

Les combles du musée sont intégrées au parcours de visite depuis la réouverture du musée et constituent ainsi une nouvelle salle pour la présentation des collections. L’espace scindé de poutres et au plafond bas est peint en noir, créant une ambiance tamisée. La présentation est plus esthétisante, grâce à des jeux d’ombres et de lumières. Dans cette salle sont exposés de nombreux masques et représentations anthropomorphes, de petites ou grandes dimensions. Quelques objets présentés sans vitrine offrent l’avantage d’une quasi-rencontre avec les visiteur·se·s, telles que les appliques de portes kanak ou les rambaramp du Vanuatu.

Outre l’exposition permanente, le muséum propose une dynamique programmation d’expositions temporaires où le Pacifique est régulièrement présenté. Le musée fait souvent appel à des centres culturels ou des artistes locaux, leur donnant la parole pour le choix des objets et le propos tenu par l’exposition. Le dispositif Carte blanche, initié en 2014 par l’actuelle directrice du musée Élise Patole vise ainsi à inviter des commissaires, artistes et intellectuels originaires du continent africain dans un premier temps, à réaliser une exposition autour d’un thème donné par l’institution.9 L’artiste d’origine maōri George Nuku, dont nous avions déjà parlé à la suite de notre escapade à Rouen10, fut invité en 2016 pour présenter son travail intitulé Bottled Ocean, exposition-installation créée la première fois au musée d’art contemporain de Taipei en 2014 portant une réflexion sur l’avenir des océans. L’artiste bénéficia d’une résidence de quelques mois à La Rochelle lors de laquelle il conçut l’exposition, à partir de ses propres réalisations et des collections du musée. Le montage fut pensé comme un moment d’interaction avec les visiteur·se·s, invité·e·s à en découvrir les coulisses. L’exposition précédente, Erotik Kanak, réalisée sous le commissariat de Roger Boulay et montrée la première fois au centre culturel Tjibaou de Nouméa en 2013, mettait également à l’honneur une artiste contemporaine du Pacifique Sud : Stéphanie Wamytan, diplômée de l’École d’art de Nouméa et de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Nancy et connue pour ses bambous gravés qui s’inspirent des modèles anciens kanak. Alliant histoire et présentation locales à des perspectives plus globales, le muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle fait ainsi partie des institutions régionales dynamiques qui méritent d’être (re)découvertes.

Pour ceux et celles qui n’auraient pas encore la chance de visiter le musée, certaines salles sont accessibles en visite virtuelle par le biais du site internet du muséum : https://visite-virtuelle-museum.larochelle.fr/.

Marion Bertin

1 PATOLE-EDOUMBA, E., DESRAMAUT, E., 2001. « La ville de La Rochelle et ses collections ethnographiques : le cas du Muséum d’Histoire naturelle ». In Outre-mers, t. 88, n°332-333, p. 80.

2 Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle [en ligne] : https://museum.larochelle.fr/museum/histoire.html, dernière consultation le mardi 22 janvier 2019.

3 JAQUEMIN, S., 1991. Histoire des collections océaniennes dans les musées et établissements parisiens : XVIIIe-XXe siècles. Paris, mémoire de recherche approfondie, École du Louvre, p. 90.

4 PATOLE-EDOUMBA, E. DESRAMAUT, E., 2001. « La ville de La Rochelle et ses collections ethnographiques : le cas du Muséum d’Histoire naturelle ». In Outre-mers, t. 88, n°332-333, p. 83.

5 PATOLE, E., 2018. « La construction des images océaniennes au Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle entre 1915 et 1954 ». In ILLOUZ, C., (dir.), MARTINEZ, F., (dir.). Peuples en vitrine. Une approche comparée du montrer/cacher. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 38.

6 GORGUS, N., 2003. Le Magicien des vitrines. Paris, Fondation Maison des sciences de l’homme, p.

7 PATOLE, E., 2018. « La construction des images océaniennes au Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle entre 1915 et 1954 ». In ILLOUZ, C., (dir.), MARTINEZ, F., (dir.). Peuples en vitrine. Une approche comparée du montrer/cacher. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 35.

Ibid. 

9 PATOLE-EDOUMBA, E., 2017. « Patrimoine hérité, patrimoine partagé : le Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle sous l’angle du métissage », In Diasporas, [en ligne] : https://journals.openedition.org/diasporas/803?lang=fr, dernière consultation le mardi 22 janvier 2019.

10 BERTIN, M., 2018. « Ethique, durable et responsable, le Muséum de Rouen », In CASOAR, [en ligne] : https://casoar.org/2018/04/25/ethique-durable-et-responsable-le-museum-de-rouen/, dernière consultation le mardi 22 janvier 2019.

Bibliographie :

  • BERTIN, M., 2018. « Ethique, durable et responsable, le Muséum de Rouen », In CASOAR, [en ligne] : https://casoar.org/2018/04/25/ethique-durable-et-responsable-le-museum-de-rouen/, dernière consultation le mardi 22 janvier 2019.

  • GORGUS, N., 2003. Le Magicien des vitrines. Paris, Fondation Maison des sciences de l’homme.

  • JACQUEMIN, S., 1991. Histoire des collections océaniennes dans les musées et établissements parisiens : XVIIIe-XXe siècles. Paris, mémoire de recherche approfondie, École du Louvre.

  • LAROCHE, M.-C., 1945. « Pour un inventaire des collections océaniennes en      France ». In Journal de la Société des Océanistes, t.1, pp. 51-57.

  • Muséum de La Rochelle [en ligne] : https://museum.larochelle.fr, dernière consultation le lundi 21 janvier 2019.

  • PATOLE, E., 2018. « La construction des images océaniennes au Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle entre 1915 et 1954 ». In ILLOUZ, C., (dir.), MARTINEZ, F., (dir.). Peuples en vitrine. Une approche comparée du montrer/cacher. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, pp. 33-52.

  • PATOLE-EDOUMBA, E., 2010. « Dans le sillage d’Étienne Loppé. Hommage au conservateur du Muséum et président de la Société des Sciences de 1915 à 1954 ». In Annales de la Société des sciences naturelles de Charente-Maritime, n°10, pp. 121-130.

  • PATOLE, EDOUMBA, E., 2017. « Patrimoine hérité, patrimoine partagé : le Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle sous l’angle du métissage ». In Diasporas, [en ligne] : https://journals.openedition.org/diasporas/803?lang=fr, dernière consultation le mardi 22 janvier 2019.

  • PATOLE-EDOUMBA, E., DESRAMAUT, E., 2001. « La ville de La Rochelle et ses collections ethnographiques : le cas du Muséum d’Histoire naturelle ». In Outre-mers, t. 88, n°332-333, pp. 77-94.

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