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Segalen et « Les Immémoriaux », entre exotisme et ethnologie

« Je t’ai dit avoir été heureux sous les tropiques, c’est violemment vrai. Pendant deux ans en Polynésie, j’ai mal dormi, de joie. J’ai eu des réveils à pleurer d’ivresse du jour qui montait. Les dieux du jouir, savent seuls, combien le réveil est annonciateur du jour et révélateur du bonheur continu que ne dose pas le jour. J’ai senti de l’allégresse couler dans mes muscles. J’ai pensé avec jouissance. J’ai découvert Nietzsche. Je tenais mon œuvre, j’étais libre, convalescent, frais et sensuellement assez bien entraîné. J’avais de petits départs, de petits déchirements, de grandes retrouvées fondantes. Toute l’île venait à moi, comme une femme. Et j’avais précisément, de la femme là-bas, des dons que les pays complets ne donnent plus. Outre la classique épouse maorie dont la peau est douce et fraîche, les cheveux lisses, la bouche musclée, j’ai connu des caresses et des rendez-vous, et des libertés qui ne demandaient pas autre chose que la voix, les yeux, la bouche et de jolis mots d’enfant. À Tahiti donc, j’ai sans geste précis connu des heures nocturnes radieusement belles. Les parfums s’y mêlaient sans doute, mais je sais fermement pourquoi j’y fût heureux. Je sais aussi que lorsque j’y retournerai pour vivre et y écrire mon maître du jouir, j’y retrouverai sous des espèces nouvelles, oh, pas de passion personnelle, d’analogue moment, ou bien je ne serais pas digne de sentir et de vivre. »
Extrait de lettre de Victor Segalen à son ami Henry Manceron, 24 décembre 1911.1 Voir plus