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Rambaramp, les effigies funéraires du Vanuatu

       Les effigies funéraires du Vanuatu ou rambaramp sont des habituées des collections et des vitrines de musées. De très nombreuses institutions et personnes privées conservent à travers le monde ces « objets » pourtant majoritairement originaires de la partie sud d’une seule île de l’archipel du Vanuatu, en Mélanésie ; l’île de Malekula. Si les guillemets sont de mise pour les qualifier d’objets, c’est que sa nature et sa fonction sont tout à fait particulières, comme cet article tentera d’en faire la démonstration.

     Commençons par les décrire ; généralement entre un mètre soixante et deux mètres de haut, ces figures reprennent presque toutes les caractéristiques du corps humain auquel elles font référence. Comme visible sur la fig. 1, le tronc, les membres, la poitrine, le sexe et la tête sont représentés, avec force détails pour cette dernière. Le seul ajout anti-anatomique, qui n’est pas toujours présent sur les exemples conservés, sont des projections verticales qui prolongent les bras vers le haut.
Les informations disponibles décrivent la fabrication comme suit : on commence par aller chercher un tronc de fougère arborescente dans la forêt, qui sert de base pour le corps. Les membres sont ensuite réalisés en bois, en bambou ou en rouleaux de feuilles de bananier ayant subi un rouissage (une dégradation partielle des végétaux afin d’en extraire les fibres). On applique ensuite sur le corps une pâte plastique à base de sciure de liane rappée, de moelle de fougère, de lait de coco et de jus du fruit de l’arbre à pain, elle sert a modeler les détails désirés sur le tronc. Elle est aussi employée pour la tête, qui est traditionnellement réalisée à partir du crâne du défunt qui est lié au rambaramp.1 On utilise des feuilles de bananier bourrées de fibres végétales pour recréer le relief du nez et pour remplacer la mâchoire inférieure si jamais elle manque (ce qui donne un menton plus fuyant que la normale). On recouvre ensuite le tout avec de la pâte plastique pour modeler arcades sourcilières, cavités orbitales, nez, bouche et oreilles. La chevelure du défunt est rajouté grâce à un adhésif à base de suc du fruit de l’arbre à pain et le regard peut être animé grâce à plusieurs sortes de rajouts placés au niveau des yeux : baies, sections de coquillage ou brins de paille enroulés.
Une fois la pâte bien sèche, le mannequin est peint2 avec des couleurs vives appliquées en aplats ou formant des motifs géométriques ou curvilinéaires. Puis, il est paré d’attributs qui ont appartenu au défunt (bracelet en écaille de tortue, bracelet en dent de cochon recourbée, brassard en sparterie de coco et de coquillage ou de perles d’importation, ceinture, étui pénien…) mais également d’autres éléments qui sont des références à son statut social comme les petits visages plus caricaturaux au niveau des épaules et des genoux, la coiffe en toile d’araignée et les plumes sur les projections verticales. Les objets qu’il tient en main sont le plus souvent une mâchoire de cochon (voire plus rarement un modèle de cochon) et une conque ébréchée.

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Fig. 1: Mannequin funéraire rambaramp, Vanuatu, Malekula, baie du Sud-Ouest.
© Cambridge University Museum of Archaeology and Anthropology

       Comme leur nom le suggère, les rambaramp sont fabriqués dans le cadre de funérailles. Cependant, leur réalisation est soumise à plusieurs conditions qui sont liées à l’institution de la société de grade du Vanuatu. Elle permet (si l’on résume grossièrement) à ses membres de monter dans une échelle de rang, qui donnent accès à des savoirs techniques et religieux, grâce à des paiements en cochons à dents. Ces cochons sont caractérisés par leurs dents recourbées, qui sont une des monnaies traditionnelles du Vanuatu (qui se retrouve aujourd’hui sur le drapeau du pays), ce sont elles qui donnent de la valeur au cochon et qui le transforme en monnaie d’échange par extension. On les obtient en retirant les canines de la mâchoire supérieure de l’animal, ce qui a pour effet de permettre aux canines inférieures de continuer à pousser de façon continue, jusqu’à former des cercles concentriques en se recourbant. Si les paiements des premiers rangs dans cette société ne demandent que quelques individus, les grades élevés requièrent jusqu’à plusieurs centaines de ces cochons. Le prétendant au grade ne possède jamais personnellement autant d’animaux et doit faire jouer ses relations pour réussir à réunir le nombre demandé au bon moment et au bon endroit, montrant ainsi son pouvoir d’influence et sa capacité à mobiliser son réseau de partenaires. Ainsi la présence en nombre de bracelets de dents de cochon sur certains rambaramp montre la richesse et le prestige de la personne figurée, en évoquant sa capacité à disposer d’une grande quantité de ces ressources. La mâchoire qu’il tient en main évoque aussi l’importance de ces animaux pour les prises de grade, tandis que la conque fait directement référence à la cérémonie. Car à chaque nouveau grade, on frappe la tête d’un cochon avec une conque, elles sont ensuite toutes conservées et la dernière utilisée avant le décès est fixée sur le rambaramp. Un homme appartient le plus souvent à plusieurs sociétés différentes dans lesquelles il progresse en parallèle au cours de sa vie. Ces sociétés, leurs noms, le nombre et les différents rangs qu’elle contiennent varient selon la partie de Malekula où l’on se situe. Cependant, on retrouve régulièrement une organisation comprenant au moins deux sociétés principales, l’une étant plus liée à la vie publique (appelée nimangi) tandis que l’autre est plus réputée en rapport avec les activités religieuses (nalawan) mais les limites entre les deux restent floues et surtout mouvantes selon les villages.

         C’est en fonction du rang que l’homme atteint dans ces sociétés qu’il aura le droit ou non à la réalisation d’un rambaramp à sa mort, le paiement pour sa fabrication serait compris dans celui pour le passage du rang en question selon certaines sources mais une autre indique qu’il est souvent réglé par ses proches ou ses collègues rituels, la mort survenant généralement de manière inattendu. Quoi qu’il en soit, la réalisation d’un rambaramp lors de ses funérailles est une marque de prestige auquel tout le monde n’a pas droit. Les individus de rangs inférieurs se contentent de se faire sur-modeler le crâne, avec une technique similaire à celle utilisée pour la tête des rambaramp.

      Le rambaramp est un portrait physique3 mais surtout un portrait social du défunt qu’il incarne lors d’un deuxième temps dans le cycle funéraire, observant le déroulement des dernières cérémonies le concernant et concluant ses funérailles, avant d’être disposé dans la maison des hommes du village, centre de l’activité rituelle. Il restera à l’intérieur jusqu’à sa dégradation totale, son crâne est ensuite récupéré puis conservé ou jeté dans l’ossuaire du village selon les sources.
En plus de l’existence même du rambaramp, qui est une preuve de rang social en soit, tout les motifs peints, les ornements et les attributs qu’il porte sont significatifs du rang atteint par le défunt dans les différentes sociétés auxquelles il appartenait. Le rambaramp donne à voir dans une seule image toute l’existence sociale du défunt au cours de sa vie. On l’exprime également au cours de la cérémonie funéraire où l’on va battre à la suite et dans l’ordre chronologique, sur les grands tambours à fente du village, tout les rythmes correspondant aux grades qu’il a passé durant son existence. Ces effigies servent donc à rappeler la structure sociale de l’individu au moment de sa mort, qui n’est pas un anéantissement mais un passage vers un autre état de la personne, comme développé dans un article précédent.4

       Elles illustrent très bien l’ambivalence ressentie à l’égard des morts/ancêtres dans cette région mais également en Mélanésie. Ce sont des entités dont la puissance est recherchée et nécessaire pour la bonne marche de la société mais en même temps leur présence parmi les vivants à des moments et des lieux inappropriés est dangereuse. Le mythe de l’origine des rambaramp montre très bien ce paradoxe. On raconte que c’est Ambat, un héros culturel de la région, qui en serait le premier créateur. Alors qu’il travaillait avec ses frères, l’un d’eux vient à mourir, il le fait alors revivre mais un autre de ses frères s’en irrite. Afin de l’apaiser, il tue à nouveau son frère et érige à sa place un rambaramp, que le frère apprécie plus car il est muet. Cette histoire permet de comprendre une des fonctions de ces figures : on convoque le mort une dernière fois dans son entièreté sociale mais sous une forme limitée pour mieux pouvoir « s’en débarrasser », c’est-à-dire assurer son départ vers le monde des morts et l’agréger à la communauté des ancêtres pour récupérer sa puissance.

      Cette brève présentation permet déjà d’entre apercevoir la complexité comprise dans ces figures. Elle sont à la fois des images physiques et sociales du défunt mais également des reliquaires vu qu’elles contiennent son crâne. Ce sont de véritables « objets-sujets », qui incarne véritablement le mort en remplaçant le corps organique qui lui fait défaut.

Morgane Martin

Image à la une : « Rhambaramp, avec le crâne d’un homme mort placé à l’intérieur de la tête de la figure funéraire », photographie de Kal Muller, in Funerary rituals among the Mbotgote South-Central Malekula, New Hebrides, Journal de la Société des Océanistes, 1974 : vol. 30, n°42, p.70.

À cause de la forte demande en rambaramp du marché de l’art et des musées, certains d’entre eux furent fabriqués sans crâne à l’intérieur pour ensuite être vendus.

Les pigments utilisés sont d’abord d’origine naturelle (végétale ou minérale) avant d’être remplacés par les pigments artificiels quand ceux-ci commence à être disponible dans les magasins des plantations.

Balfour (1901) remarque un exemple du Pitt-rivers Museum (Oxford) qui possède un bec-de-lièvre, suggérant une certaine personnalisation en lien avec l’apparence physique réelle du défunt.

https://casoar.org/2017/11/22/introduction-a-la-notion-d-ancetre-en-oceanie-labsence-du-neant/

Bibliographie :

  • BALFOUR, H., 1901. « Memorial Heads in the Pitt-Rivers Museum » in MAN, vol. 1, pp. 65-66.
  • DEACON, A. B., WEDGWOOD, C., 1934 [1970]. Malekula : a vanishing people in the New Hebrides. Oosterhout, Pays-Bas, Anthropological Publications.
  • GUIART, J., 1949. « Les effigies religieuses des Nouvelles-Hébrides [étude des collections du Musée de l’Homme] » in Journal de la Société des océanistes, tome 5, pp. 51-86.
  • GUIDIERI, R., PELLIZZI, F., 1981. « Nineteen Tableaux on the Cult of the Dead in Malekula, Eastern Melanesia » in RES : Anthropology and Aesthetics, No. 2, pp. 5-99.
  • HUFFMAN, K., 2009. « Rambaramp » in Musée du Quai-Branly : La collection. Paris, Skira Flammarion.
  • LAYARD, J., 1928. « Degree-taking Rites in South West Bay, Malekula » in The journal of the Royal Anthropological Institute of Great-Britain and Ireland, vol. 58, pp. 139-223.

 

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