0 Commentaire

La Biennale de Paris et Parcours des Mondes dans l’œil du galeriste Anthony Meyer

       Le mois de septembre amène avec lui deux des plus gros évènements de l’agenda artistique parisien : la Biennale de Paris au Grand Palais, du 8 au 16 septembre 2018, et Parcours des Mondes, dans le quartier des Beaux-Arts à Saint-Germain-des-Prés, du 11 au 16 septembre 2018. À ces occasions, Casoar a rencontré l’un des acteurs majeurs de ces deux évènements, le galeriste d’art océanien et eskimo Anthony Meyer, que vous pouvez retrouver dans sa galerie au 17, rue des Beaux-Arts, dans le 6ème arrondissement parisien, ou sur son site : http://www.meyeroceanic.art/

Pouvez-vous nous présenter ces deux évènements, leur histoire, leur actualité, ce qui les relie, ce qui les différencie… ?

      Commençons par parler de la Biennale, qui démarre en premier dans la saison. C’est la fameuse Biennale des Antiquaires, le plus grand salon d’antiquaires et d’art français, avec cinquante ans d’existence et 28 ans de présentation, puisque l’évènement était bisannuelle jusqu’en 2017. Avec 60 à 70 exposants venant du monde entier, c’est la plus grande foire de France, et d’ailleurs historiquement la première grande foire internationale à très haut niveau pour les arts et les antiquités.

     Ensuite, on a Parcours des Mondes, qui est un salon en galeries, à l’opposé de la Biennale, qui se déroule dans un endroit spécifique et temporaire. Parcours des Mondes a été créé il y a maintenant 16 ans, en 2002, à l’instigation de Erik Gadela, collectionneur d’art primitif, créateur de Paris Photos. Il sentait qu’il y avait quelque chose à faire pour ramener Paris sur le devant de la scène de l’art primitif à la fin des années 1990, pour récupérer la place raflée par la Belgique à l’époque. Avec d’autres marchands du quartier, parmi lesquels Renaud Vanuxem, Jean-Edouard Carlier et Christine Valluet, on a créé Parcours des Mondes qui a pris un essor immédiat. Les marchands étrangers louent des galeries pour eux-mêmes, on se retrouve ainsi avec un mélange de galeries résidentes et invitées, qui frise les 70 exposants, dont les meilleurs du monde. Ce salon ramène le marché sur Paris et sur la France, dans un juste retour des choses puisque ce marché a été créé ici, à Paris. Tous les artistes du XXème siècle venaient dans le quartier : Marie Laurencin, Picasso… Pour se rattacher encore davantage à l’histoire, cette galerie est même la deuxième adresse d’André Derain et, du côté de la rue Bonaparte, Pierre Loeb, le fameux marchand d’art contemporain, a ouvert sa première galerie, et y a présenté la première exposition surréaliste de France, avant de financer Jacques Viot pour aller chercher des objets en Nouvelle-Guinée.

     C’est une évidence pour moi de participer aux deux salons, car les publics sont distinctement différents. Parcours des Mondes est un salon spécifique à l’art primitif, dans le quartier de l’art primitif, sur un schéma complètement ouvert. Vous pouvez entrer et sortir du système quand vous voulez puisque vous êtes dans les rues où se trouvent les galeries. On a ajouté à l’art primitif l’art antique et l’art asiatique, pour ouvrir les frontières et créer des passerelles avec la clientèle. Par contre, le marché d’art primitif à Saint-Germain-des-Prés a encore des barrières dans l’accès à la clientèle collectionneuse d’art moderne et contemporain, d’où mon intérêt pour la Biennale, qui est un salon de très grande envergure, de très grande qualité, et où viennent des amateurs, des gens intéressés par d’autres aspects de l’art que l’art primitif. Je ne recherche pas une clientèle d’art primitif, mais une clientèle généraliste, ouverte d’esprit, ouverte visuellement, et qui peut, à la rencontre de nouveaux horizons, se laisser séduire par un art qui ne lui est plus du tout étranger, puisque l’art primitif est aujourd’hui complètement assimilé, rentré dans le contexte de l’Histoire de l’Art mondial. Au niveau de la valorisation des œuvres, on a atteint le même palier que les arts antiques, modernes, contemporains.

Cela vous est-il arrivé de convertir à l’art océanien une personne absolument pas intéressée par le sujet ?

      Je suis missionnaire, madame, depuis la fin des années 1980 ! Et depuis, je prêche très sérieusement et j’ai d’ailleurs, comme d’autres religieux, écrit un gros livre à ce sujet1 ! Quand j’ai commencé, au début des années 1980, il n’y avait pour ainsi dire personne qui ne s’occupait strictement que  d’art océanien. Ils n’étaient que deux ou trois, en Australie, mais ils n’avaient aucun contact avec le reste du monde. On m’a dit que j’étais malade, que j’allais crever la bouche ouverte… Finalement, aujourd’hui, au vu de mon ventre qui dépasse, on peut dire que j’ai réussi à grandir et même à grossir ! D’abord poisson solitaire dans un petit étang, j’ai été rejoint par d’autres poissons, et nous formons maintenant un ensemble relativement cohérent de marchands spécialisés, intéressés…

Quelles œuvres choisissez-vous d’exposer à ces occasions ?

      Pour Parcours des Mondes, le choix est extrêmement facile. Cela fait des années que je veux faire une exposition « À la noix » ! Je collectionne les noix de coco. C’était complètement accidentel au début. Un jour, je me suis réveillé avec une dizaine de noix de coco… Je me suis dit « je suis complètement barge, y a un truc qui va pas » ! Je me suis intéressé aussi aux louches des Îles de l’Amirauté, et ma mère et moi, depuis toujours, nous avons collectionné, de façon maladive, les marupai, ces charmes en noix de coco de Papouasie. La collection est montée à une époque à une centaine de marupai. Nous étions peut-être parmi les premiers à nous y intéresser ! Je vais présenter une soixantaine de noix de coco, plus les quarante et quelques marupai. J’ai voulu augmenter la collection avec les cuillères du Golfe de Papouasie, et j’ai pu aussi récupérer, par hasard, une noix de coco d’une simplicité extrême, qui a appartenu à la Reine Pomaré de Tahiti dans les années 1870, un personnage extraordinaire. J’ai aussi acheté un jour, sans connaître son histoire, une louche des Îles de l’Amirauté, pour un prix qui semblait, à l’époque, de la folie. Il y avait des numéros sur cette pièce : je ne réussissais pas à trouver à qui cela avait appartenu. Un jour, lors d’une présentation chez Christie’s d’une œuvre de Paul Guillaume2, je vois, dans les photos de l’inventaire, sur son socle Inagaki3, mon objet. Je comprends que le numéro 47 de mon objet correspond au 47 de Paul Guillaume… Connaître la provenance peut parfois prendre des décennies ! J’ai aussi une vulve factice de noix de coco de la cérémonie Naven des Iatmul de Nouvelle-Guinée, qui provient de la collection du peintre Deveze. C’est un objet rarissime, évocateur, d’une très grande beauté visuelle… La plupart des gens n’y voient pas le côté génital, mais deux têtes d’oiseaux, c’est un objet polyiconique. Je vais présenter également un ensemble de noix de coco, plutôt mélanésiennes, certaines décorées, d’autres pas.

    Pour la Biennale, il n’est pas question de faire une exposition thématique. Les objets ont pour seul point commun d’être de grand intérêt et d’une qualité irréprochable. Il y aura des raretés, notamment quatre lances korvar en métal indigène, forgé localement, ce qui est absolument exceptionnel. Elles proviennent de la North New Guinea Expedition, expédition néerlandaise de 1903. Ces lances ont été conservées par le médecin de l’expédition.
Il y a aussi une chose qui n’a jamais été mise en avant : quatre tabliers de danse des Îles de l’Amirauté, en perlage de coquillage. Un pour femme, en tapa, et trois pour hommes en résille de coquillage. Dans les quatre, il y en a trois qui viennent de la collection Hermann Seeger4 de Stuttgart, qui ont été obtenus par échange avec le Linden Museum dans les années 1950, et qui auraient été collectés par les premiers colons allemands à la fin du XIXème siècle. Ce sont des tabliers qui n’incorporent que très peu d’éléments européens, avec moins de dix perles de traite. Le quatrième tablier vient de la collection personnelle d’Albert Hahl, deuxième gouverneur de la Nouvelle-Guinée allemande, entre 1896 et 1914. Je l’ai acheté directement à la famille.

       En art eskimo, je présente un conteneur pour amadou ou tabac à priser, collecté par un baleinier dans les années 1860-70. Il possède deux têtes, qui me font penser au voyageur de Alien … Vous voyez la grande tête blanche ? C’est exactement ça. Une sorte d’absolu de la représentation de l’humanité se trouve là, un absolu qui traverse les âges. Je vais aussi présenter un hameçon à flétan5 de la Colombie Britannique. Cet hameçon en bois et os a été collecté par les Anglais au XIXème siècle, et s’est retrouvé dans un des premiers musée anglais, le Royal United Services Institution. Il est ensuite passé par le musée d’un particulier, le Blackmore Museum. Une partie de ce musée fut ensuite vendue à Harry Beasley, le fameux collectionneur marchand qui avait son propre musée. L’objet a été mis en vente par la veuve de Beasley dans les années 1970. J’ai réussi, à partir de l’étiquette complètement fragmentaire et en grande partie effacée, à retrouver toute la provenance. C’est absolument génial, en plus d’être très beau !

      Je présente aussi une magnifique pierre préhistorique de Nouvelle-Guinée, avec une représentation anthropozoomorphe. Cet objet peut avoir jusqu’à six mille ans d’âge, comme l’a prouvé Pamela Swadling, chercheuse australienne.

Qu’est-ce que le public attend de ces évènements ?

     Dans les deux foires, le mot d’ordre, c’est qualité. Et par qualité, je sous-entends évidemment authenticité, mais il va de soit que très logiquement, les marchands sélectionnés pour les deux évènements balaient devant leur porte. Il y a effectivement un système d’expertise, une vérification qui est faite, mais elle est juste là pour prouver que bonne diligence a été faite, parce que la quasi-totalité des marchands fait des efforts extraordinaires pour ne présenter que des éléments authentiques et de qualité, suivant leur critère et leur regard, car chacun est un individu.

      La première chose que va rencontrer le client, c’est donc la qualité. Dans ces deux évènements, il va aussi rencontrer la diversité. Bien que Parcours des Mondes soit un salon spécifique à l‘art primitif, il y a énormement de variations, de possibilités, de segments, de directions. On peut se fixer sur un seul type d’objet, d’une seule provenance, et trouver son bonheur. On peut aussi être complètement ouvert et opportuniste et se dire « je vais voir ce qu’il y a » . Cela marche dans les deux foires. La seule différence, c’est que pour Parcours des Mondes, avec l’arrivée dans la même rue de tous les meilleurs marchands d’art primitif, on a une grande émulation, et l’occasion de réaliser ce qu’on appelle en anglais un « one-stop shopping ». Quand on vient à Parcours des Mondes, on voit ce qu’il y a de mieux sur le moment. C’est une sorte de photographie haute définition du marché de l’art primitif, un instantané qui dure. Cela permet de se faire une idée, une collection, de se rincer l’œil tout simplement. On n’est pas obligé d’acheter, mais si les collectionneurs n’achètent pas, les marchands ne peuvent pas continuer. Et sans marchands, il n’y a plus de collectionneurs. Il faut que les collectionneurs soient actifs dans leur soutien aux antiquaires et se rendent compte que si les antiquaires disparaissent, les collectionneurs n’ont nulle part où acheter avec confiance et tranquillité, et surtout, ils n’auront nulle part où revendre… À la Biennale, la situation sera la même, mais l’offre sera plus variée.

Quelles sont les pièces les plus recherchées des collectionneurs cette année ?

    Question piège ! S’il y a bien une chose dans le marché de l’art primitif qu’on essaie d’éviter, c’est la spéculation et les objets « chauds » sur le moment. Je n’aime pas ça, car cela implique une notion de mouton – encore que les moutons sont très intelligents, on vient de le confirmer… Se jeter dans la recherche d’un type d’objet parce qu’un autre s’y intéresse, je trouve cela assez réducteur. On voit des phénomènes sur le marché qui sont inexplicables, ou du moins inexpliqués, comme des intérêts momentanés pour tel type d’objet, des flambées de prix, qui prouvent bien qu’un engouement se crée. Comment, je ne sais pas ! Toujours est-il que cela existe. Il y a eu dans le monde du marché de l’art africain un engouement pour les Kota, où on a vu des flambées de prix sur trois-quatre ans, avant de retomber, puis remonter… C’est très cyclique. En art océanien, on a vu une course à l’échalotte pour les boucliers australiens, il y a quelques années, car quelques collectionneurs avaient décidé, indépendemment les uns des autres, de s’y intéresser. Il y a eu une flambée extraordinaire, qui est retombée. Nous avons la même chose avec les massues du Pacifique. Là, je peux éventuellement être l’un des fautifs ! J’avais amassé une collection d’à peu près 400 massues dans les années 1980. Le marché était relativement asséché… J’ai remis tout ça sur le marché en 1989, avec l’exposition « Casse-tête » et, effectivement, il est devenu extrêmement difficile de trouver des belles massues en quantité. Les prix sont restés très soutenus.

     On peut dire aussi que l’art eskimo a eu une énorme descente à partir de 1985 à peu près, avec la disparition des quatre grand moteurs européens de l’époque. Ce marché a vu sa renaissance aux alentours de 2010, quand, entre autre, j’ai commencé à ouvrir le département eskimo, qui a aidé à remettre cet art sur le marché. On peut voir, à travers ces cas, des raisons d’être ; mais, qu’est-ce qui est « chaud » sur le moment, ça non, je ne peux jamais le dire ! Il y a eu des situations où, notamment avec l’art africain, on avait des arrivages. Ca, ça n’existe plus, mais avec ces arrivages en masse, où une dizaine, voire une centaine d’œuvres arrivaient sur le marché ; là, effectivement, tout le monde courait vers ça, et il y avait un réchauffement du marché. Cela se calmait après.

     Pour répondre à ce qui est « chaud » cette année, je dirais simplement : la qualité. Comme toutes les années.

Est-ce qu’un simple passant, sans aucun moyen d’acheter une œuvre, est aussi le bienvenu dans ces évènements ?

      Il y a une diférence dans les deux salons : Parcours des Mondes est gratuit et ouvert au public de façon démocratique. La Biennale, pour des raisons qui lui sont propres et qui sont propres aux foires de ce type, propose une entrée payante ou sur invitation, ce qui a tendance à limiter l’accessibilité de ceux qui ne sont pas financièrement capables de rentrer. C’est ainsi.
Parcours des Mondes est ouvert à tout le monde, tout le monde ne vient pas forcément, parce  que  les galeries ou la réputation d’un marchand peuvent être un peu rédhibitoires : « untel est un grand monsieur, on ne va pas l’embêter »… Beaucoup de gens ont des a priori malheureux : « si je pousse la porte, il faut que j’achète ». Ce n’est évidemment pas vrai. C’est souhaitable qu’au bout d’un moment la clientèle achète quelque chose, sinon nous allons crever la bouche ouverte, mais les galeries sont là pour le public, ouvertes pour vous donner la possibilité d’apprécier, comprendre, etc. Je réserve un accueil identique à tout le monde, car on ne sait jamais qui on va rencontrer. Et ce n’est pas une question d’âge, de moyens, d’intelligence ou d’aspect physique. Il est important de donner une chance égale à tout le monde. Pendant Parcours des Mondes, les marchands sont dans une disposition de dialogue. Nous sommes là pour vendre, bien sûr, mais nous sommes aussi présents pour éduquer, aider à comprendre, ouvrir les yeux, l’esprit, le cœur… N’importe qui peut donc visiter Parcours des Mondes, à condition de respecter certaines conventions, qui sont la politesse et l’intérêt. Vous ne heurtez jamais. Cela me désole d’entendre des jeunes me dire qu’ils ne sont pas toujours bien reçus en galerie… Ça, c’est un problème. Moi aussi, j’ai été éconduit, je pensais que cela avait changé. Mais avec Parcours des Mondes, cela n’arrivera pas. On est là pour le public, justement ! Sinon, on ne fait pas le Parcours.

Une dernière question… Quelles sont vos pièces maîtresses, cette année ?

       Il n’y en a pas, pour la simple et bonne raison que j’ai toujours choisi ce que j’achète. Et si je l’ai choisi, c’est que je l’aime pour une raison X. De ce fait, il n’y a aucune pièce plus importante qu’une autre dans mon esprit. Il y a des pièces que j’apprécie beaucoup, d’autres que j’apprécie. Il n’y a pas de pièce que je déconsidère, ou alors ce sont des ratages, des fautes, des problèmes que j’ai stupidement achetés, mais je n’ai pas de pièce maîtresse. Maintenant, dans une exposition, une présentation, un salon, on va présenter un certain nombres de pièces. Forcément, il y aura une échelle, qu’elle soit intrinsèque, esthétique, financière. Dans un ensemble donné, il peut y avoir une pièce maîtresse. La pièce qui focalise l’attention, parce que son exceptionnalité est telle que toute l’attention se porte sur elle. Dans l’exposition « À la noix », il y en a plusieurs pour diverses raisons : par exemple, la noix de coco Paul Guillaume. Cette louche est belle, architecturée, patinée comme il faut. Elle a toutes les qualités d’une très belle louche, même plus que très belle, d’une magnifique louche. Elle est ancienne, équilibrée, elle a un côté de guingois qui augmente son côté « primitiviste », en quelque sorte. Elle est de Paul Guillaume, cerise sur le gâteau, et avec le socle d’origine, d’Inagaki. Ça, c’est la framboise sur le gâteau ! C’est une pièce maîtresse en soi, pour cette exposition.

     Mais il y en a une autre qui, pour moi, est beaucoup plus importante. C’est la vulve. Parce que ça, c’est un objet inatteignable. Un objet que normalement on ne peut pas avoir, car ce sont des objets sacrés, secrets, cachés, des objets avec une connotation cérémonielle et je dirais spirituelle qui font que les gens dans les îles ne vont pas les revendre. C’est un objet interdit à la vue, normalement. D’abord, les gens sont très pudiques. Ils ne font jamais état de leurs parties génitales. Dans le Pacifique, les gens, et donc la sculpture, sont d’une rare pudeur. La sculpture, très rarement, montre des parties génitales mises en avant. Elles sont morphologiquement là, mais les notions sexuelles ne sont quasiment jamais représentées. En art africain, on a en revanche un ensemble d’objets assez sexués, je ne sais pas pourquoi…. Donc trouver une vulve pour la cérémonie Naven, c’est extraordinaire. Mais là où c’est encore plus drôle, c’est que mon père en avait une, qu’il avait collectée en Nouvelle-Guinée dans les années 1930 ou 1950 ! Elle n’est pas en noix de coco mais en fibres, et hyper-réaliste. Et ça, c’était accroché au mur du bureau de mon père toute ma vie. Quand la collection a été vendue en 1976, cet objet a été acheté par ce monsieur, Emile Bouchard, qui l’a gardée toute sa vie. Et quand Emile Bouchard fut mourant, il a téléphoné à John Freide, qui possédait la plus grande collection au monde d’art de Nouvelle-Guinée. Il a racheté la collection Bouchard… Mais malheureusement, John Freide fit faillite et sa collection fut vendue. Mon père, Emile Bouchard, John Freide… Tout le monde était subjugué par cet objet. Et maintenant, je ne sais pas où il est ! Je suis assez amusé par la reproduction historique du père au fils, et moi, inconsciemment, je n’ai pas pensé à cet objet de mon père en l’achetant, mais en voyant cet objet, je me suis dit « il me le faut ! » Pour moi, c’est une pièce maîtresse de l’exposition sur les noix de coco.

    À la Biennale, il n’y a véritablement aucune pièce plus intéressante qu’une autre. J’éprouve par contre un plaisir intense à présenter les tabliers des Îles de l‘Amirauté. Ils ne valent rien au niveau marchand, mais je suis très content de mettre en avant des types d’objets qui sont pour la plupart dit « ouvrage de dames », terme qui sonne très péjoratif dans un monde mysogine et machiste… La présence de la femme dans l’Histoire de l’Art est quasi toujours occultée. C’est pour ça que je présente régulièrement du tapa, qui a toujours été mis de côté… J’en fais des expositions tous les trois-quatre ans, c’est une matière extraordinaire ! Les ouvrages de femmes sont presque systématiquement minorée. Sur la poterie, on ajoute « mais ce sont les hommes qui les sculptent ! »… On omet constamment que ce sont les femmes qui les fabriquent. On omet qu’elles ont un rôle absolu et déterminant dans la vie culturelle, cérémonielle et dans la vie tout court. Citez-moi un ouvrage sur l’initiation des femmes ? On n’envoyait pas les femmes sur le terrain, et les rares femmes formées à l’époque étaient formées par des hommes… De ce fait, toute la réflexion, même des femmes, va être masculine! Mais le monde change. Dans mes 38 ans de métier, j’ai vu la féminisation du métier de conservateur de musée, océanien, spécifiquement. Le métier de conservateur se féminise de façon extraordinaire. Il y a sans doute beaucoup de raisons machistes à cela, mais il y a vraiment de quoi se réjouir. Pour moi, c’est très important…

Interview réalisée par Camille Graindorge

Image à la une : portrait d’Anthony Meyer par Camille Graindorge

MEYER, A.J.P., 1995. Art océanien. Paris, Gründ.

Paul Guillaume (1891-1934) est un marchand et collectionneur d’art moderne français, précurseur dans son goût pour les arts d’Afrique et d’Océanie.

Kichizo Inagaki (1876-1951) est un artiste et ébéniste japonais, connu pour la mise en socle de nombreuses œuvres africaines ou océaniennes, notamment.

Hermann Seeger (1857-1945) est un peintre allemand.

Grand poisson plat.

 

Écrire un commentaire


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.