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« Favoriser la visibilité et l’attractivité des patrimoines insulaires » : retour sur un colloque international en Nouvelle-Calédonie

Du 16 au 21 octobre 2023 eut lieu le premier colloque international de muséologie en Nouvelle-Calédonie autour du thème « Favoriser la visibilité et l’attractivité des patrimoines insulaires : un enjeu muséologique du XXIe siècle ». Organisée par l’Association des Musées et Établissements Patrimoniaux de Nouvelle-Calédonie (AMEPNC), le Comité International pour la Muséologie, membre du Conseil International des Musées (ICOFOM), et l’Université de la Nouvelle-Calédonie, cette rencontre réunit environ quatre-vingts professionnel·le·s de musée, chercheur·se·s et étudiant·e·s en Nouvelle-Calédonie et en ligne. CASOAR revient sur quelques moments forts et discussions qui eurent lieu pendant cet évènement !

La genèse de ce colloque international se situe dans les relations nouées au cours de mes précédents séjours en Nouvelle-Calédonie en 2018 et en 2019, dans le cadre de mes recherches de thèse. La tenue de l’évènement a dû être reportée plusieurs fois, en raison de la crise sanitaire mondiale et de l’incertitude politique en Nouvelle-Calédonie alors que se tenaient les trois votes référendaires pour la pleine autonomie de l’archipel 1. Après quatre ans et demi de réunions préparatoires, d’échanges de mails et de validations de comptes-rendus de réunions, le colloque a pu se tenir grâce à un important investissement personnel du comité de pilotage formé par Marianne Tissandier (présidente de l’AMEPNC), Petelo Tuilalo (secrétaire de l’AMEPNC), Louis Lagarde (maître de conférences en archéologie de l’Océanie à l’Université de Nouvelle-Calédonie et administrateur provisoire de l’équipe de recherches TROCA), Ingrid Tateia (cheffe adjointe du service du patrimoine à la Province Sud), Jean-Romaric Néa (chef du service de la valorisation du patrimoine à la Province Nord), Steeve Hmana Wahopie (chargé du développement culturel et de la valorisation du patrimoine à la Province des îles) et moi-même (co-vice-présidente de l’ICOFOM). De nombreuses institutions ont apporté un appui financier pour permettre cette rencontre : le Comité d’examen d’allocation stratégique de l’ICOM, l’AMEPNC, l’Université de Nouvelle-Calédonie et l’équipe TROCA, la Province Sud, la Province Nord, la Province des îles, la Mission aux affaires culturelles ainsi que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Affiche du colloque international « Favoriser la visibilité et l’attractivité des patrimoines insulaires : un enjeu muséologique du XXIème siècle »

Le thème du colloque fut choisi au début de l’année 2023 après une demi-journée de discussions coordonnée par l’AMEPNC avec ses membres, afin de répondre aux besoins et aux problématiques du territoire. L’appel à communications (Bertin, Lagarde & Tissandier, 2023) invitait à aborder la pluralité des patrimoines insulaires, en Océanie et dans le monde, tout en questionnant les enjeux propres liés à leur transmission, matérielle et immatérielle, notamment au regard des risques liés à la crise climatique 2. Il s’agissait aussi d’interroger les outils de valorisation touristique, ou bien numérique de ces patrimoines, afin de permettre leur connaissance, leur accès et leur visibilité. Les dangers liés au tourisme et les écueils du numérique formaient également des aspects à prendre en compte. Enfin, la décolonisation de la muséologie et l’inclusion de savoirs et de pratiques des populations insulaires constituaient deux problématiques importantes pour cette rencontre.

Le programme incluait d’abord trois jours de conférences, de communications et d’ateliers à l’Université de Nouvelle-Calédonie 3. Puis, une partie des participant·e·s poursuivit la rencontre lors de trois jours de visites et d’échanges avec des acteur·rice·s des patrimoines calédoniens en Province Sud, en Province Nord et en Province des îles.

Les journées à l’Université de Nouvelle-Calédonie permirent d’aborder les thématiques précédemment citées à travers l’exemple de patrimoines insulaires de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi de la Polynésie française et notamment des îles Marquises, de Rapa Nui, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et d’autres régions hors d’Océanie : d’Écosse et du Royaume-Uni, d’Europe méridionale, des Maldives, du Japon, de Taïwan, du Brésil ou encore des Caraïbes. En tant que grand·e·s conférencier·e·s, Tarisi Sorovi-Vunidilo (professeure adjointe à l’université d’État de Californie à Los Angeles), Sébastien Magro (éditeur de l’infolettre « La botte de Champollion ») et Yves Bergeron (titulaire de la Chaire de recherche UQAM sur la gouvernance des musées et le droit de la culture) apportèrent leurs éclairages respectivement sur les enjeux et les défis posés par la transmission du patrimoine en Océanie, sur quelques exemples de décolonisation des pratiques d’exposition dans les musées en Europe, en Amérique du nord et en Australie et, enfin, sur les mythes fondateurs du musée au Québec et l’archipel formé par la francophonie dans cette région du monde. Les communications s’intéressèrent principalement aux patrimoines insulaires conservés dans des musées, en prenant pour exemples des institutions culturelles de diverses natures, tailles et implantations territoriales. Bien qu’étant concentrées sur un cadre muséal, ces communications soulignèrent la grande diversité des patrimoines insulaires – matériels et immatériels, mobiles ou non, déplacés ou non, naturels ou culturels, reconnus ou minorisés, mis en valeur ou laissés dans l’ombre, anciens ou plus récents, exhumés ou enfouis, etc. Furent également rappelées certaines de leurs spécificités : leur isolement, leur éparpillement, ou encore les risques liés à leur disparition du fait du changement climatique ou du tourisme de grande ampleur. D’importantes discussions précisèrent les définitions données par chacun·e pour les termes et concepts mobilisés. En particulier, l’importance de définir ce qu’il est entendu par la « décolonisation » de manière spécifique à chaque contexte géographique et social a été largement soulignée au cours de l’ensemble de la semaine de colloque. D’autres expressions furent également proposées pour décrire ce processus, dont « réappropriation des collections », qui fut employée à plusieurs reprises, et « réactivation des collections » que Guillaume Molle et Maggie Otto utilisèrent dans le cadre des collections océaniennes conservées par l’Australian National University.

À la lumière de ces questions, c’est aussi la définition de ce qu’est un musée qui fut longuement interrogée. En Océanie, le modèle du centre culturel, plus ouvert et tourné vers la culture vivante et la création actuelle, prévaut davantage que le musée. L’articulation d’une temporalité entre passé et présent nourrit un rapport spécifique aux collections de musée qui n’ont sens qu’en regard des savoirs et des dimensions immatérielles qui les accompagnent : les langues et les vocabulaires vernaculaires, les savoir-faire, les créations contemporaines, les dimensions de sacré et de secret, etc. L’exemple du musée et centre culturel de Ua Huka aux îles Marquises, mentionné par Guillaume Molle, Anatauarii Tamarii, Marine Vallée, Nestor Ohu, Ranka Aunoa et Joseph Vaatete, en est une illustration. Le terme « patrimoine » fut aussi l’objet de discussions pour mieux saisir ce qu’il encadre ou exclue ; tandis que celui de « matrimoine » fut plusieurs fois mis en valeur au cours de la semaine. Le souci d’adapter les standards et les normes des musées à la lumière de contextes extra-européens fut rappelé, notamment en ce qui concerne la conservation des collections.

Un tel besoin de répondre aux spécificités des territoires insulaires apparut aussi dans les discussions portant sur l’importance des liens noués entre musées et communautés. Au cours du colloque, le terme « communautés » fut plus fréquemment employé que celui de « publics » pour désigner les relations entretenues entre les institutions et les personnes d’un territoire. Le rôle des bénévoles et des associations qui soutiennent certains musées, dont l’Association Témoignages d’un passé en Nouvelle-Calédonie par exemple, fut aussi souligné. Les musées de plus grande envergure, comme le musée de Nouvelle-Calédonie présenté par Frédéric Daver et Marianne Tissandier, travaillent également en lien avec des communautés de l’archipel autour des leurs collections et d’expositions. Il a enfin été question du rôle joué par les musées pour la transmission de la culture et du patrimoine, en parallèle d’autres moyens dont la transmission familiale et intergénérationnelle. La question du rôles des musées se posa aussi concernant les collections dispersées. Kulasumb Kalinoe présenta leurs rôles pour la construction des identités des diasporas de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce sont davantage les missions des musées vis-à-vis des collections dispersées qui furent présentées par Claire Brizon et Denis Pourawa, ainsi que par Magali Dufau. Claire Brizon et Denis Pourawa parlèrent du processus de renomination d’une « hache-ostensoir » kanak conservées au musée d’art et d’histoire de Lausanne (Suisse). Quant à Magali Dufau, elle intervient au sujet de la déconstruction des imaginaires liés à Rapa Nui lors d’une exposition au muséum de Toulouse. Enfin, la valeur des collections dispersées se révéla de manière flagrante dans le cadre du projet Rara’a. Présenté de manière collective entre la Nouvelle-Calédonie, Tahiti et la France hexagonale par Marine Vallée, Tokainiua Devatine, Tamara Maric, Tevahine Teariki, Hélène Guiot et Magali Melandri, ce projet vise à étudier des éventails tahi’i des îles Marquises dans un but de réappropriation des savoir-faire et des techniques de tressages par des vannières. À l’issue de cette communication, des échanges entre acteur·rice·s du patrimoine de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie abordèrent les possibilités offertes par les outils numériques pour l’accès élargi aux collections dispersées, ainsi que les enjeux liés au stockage et à l’accès numérique des collections.

Photographie de groupe prise au Saut du guerrier à Maré (Negone), 21 octonre 2023 © AMEPNC

Les journées de colloque à l’Université de Nouvelle-Calédonie ne donnèrent qu’un aperçu des patrimoines insulaires de Nouvelle-Calédonie. En complément, une journée de visites et de rencontres fut organisée dans chacune des trois provinces de Nouvelle-Calédonie. Ces trois journées permirent non seulement des discussions plus informelles sur le terrain avec les acteur·rice·s des patrimoines du territoire, mais surtout, elles furent l’occasion d’en faire l’expérience directe. Les gestes de coutumes de bonjour et d’au revoir ainsi que les paroles échangées, l’océan et l’ensemble de l’environnement, les repas cuisinés longuement et leur dégustation constituèrent autant de manières d’appréhender physiquement et émotionnellement les patrimoines insulaires de Nouvelle-Calédonie. En Province Sud, la découverte du chantier du futur MUZ, le projet de rénovation du musée de Nouvelle-Calédonie, fut indéniablement un des moments les plus impressionnants. Des ateliers et des discussions furent ensuite organisés autour du tourisme patrimonial et culturel comme levier du développement économique. À Koné, en Province Nord, après une coutume d’accueil devant la case de l’hôtel de province, c’est dans l’hémicycle de l’assemblée provinciale – où siègent habituellement les élu·e·s – que nous fûmes reçu·e·s pour partager les réflexions ayant eu lieu à Nouméa et échanger autour du patrimoine en Province Nord. Les projets de la Direction du Développement de l’Humain et des Identités autour du patrimoine immatériel kanak furent longuement décrits, de même que la préparation du quarantième anniversaire de l’ouverture du centre culturel de Hienghène Goa ma Bwarhat qui aura lieu en octobre 2024. La journée se termina sur la plage de Foué, site sur lequel furent trouvés les premiers tessons de poteries Lapita en 1917, pour discuter des risques d’érosion et de disparition de ce site et d’autres patrimoines insulaires liés à la montée des eaux. Enfin, la dernière journée du colloque se tint à Maré (Negone), l’une des îles Loyautés. Nous fûmes accueilli·e·s par la grande chefferie Sinewami, dans le district de Goreshaba. Après des échanges, nous assistâmes à une pièce mise en scène par le dramaturge Wenic Bearune, jouée par lui-même et une petite troupe d’enfants. Des visites de sites remarquables de l’île, que la direction de la culture souhaiterait valoriser, nous fûmes proposées sous la conduite de l’archéologue François Wadra. Ces moments resteront probablement longtemps dans la mémoire des participant·e·s au colloque et permettront de faire rayonner les patrimoines insulaires de Nouvelle-Calédonie.

Marion Bertin

Image à la une : Photographie de groupe réalisée à l’Université de Nouvelle-Calédonie, Nouméa, le 16 octobre 2023 © Eric Dell’Erba

1  Voir l’article rédigé par Soizic Le Cornec pour CASOAR : LE CORNEC S., 15 octobre 2020. « Vers l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ? – 20 ans après l’Accord de Nouméa : ce que le référendum dit de la société calédonienne », CASOAR, https://casoar.org/2020/10/15/vers-lindependance-de-la-nouvelle-caledonie-seconde-partie-20-ans-apres-laccord-de-noumea-ce-que-le-referendum-dit-de-la-societe-caledonienne/, dernière consultation le jeudi 9 novembre 2023.

Le texte de l’appel à communication est disponible sur le site internet de l’ICOFOM : BERTIN M., LAGARDE, L., TISSANDIER M., 2023. « Favoriser la visibilité et l’attractivité des patrimoines insulaires : un enjeu muséologique du XXIe siècle », ICOFOM, https://icofom.mini.icom.museum/wp-content/uploads/sites/18/2023/03/AAC-AMEPNC-ICOFOM-UNC-Final-FR_compressed-1.pdf, dernière consultation le mercredi 15 novembre 2023.

3 Il est disponible sur le site internet de l’Université de Nouvelle-Calédonie : https://unc.nc/colloque-international-favoriser-la-visibilite-et-lattractivite-des-patrimoines-insulaires-un-enjeu-museologique-du-xxieme-siecle/, dernière consultation le jeudi 9 novembre 2023.

Bibliography:

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