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Vers l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ? – 20 ans après l’Accord de Nouméa : ce que le référendum dit de la société calédonienne

« Le retour à la tradition est un mythe. Aucun peuple ne l’a jamais vécu. La recherche d’identité, le modèle, pour moi, il est devant soi, jamais en arrière. C’est une reformulation permanente. L’identité elle est devant nous ».

Jean Marie Tjibaou.

Le 4 octobre dernier, les calédoniens se sont rendus aux urnes pour le second scrutin référendaire qui invitait la population à se prononcer de nouveau sur la question de la pleine souveraineté et de l’indépendance du pays. Le premier référendum, mené en novembre 2018 s’était soldé par la victoire du non à 56,7% des suffrages exprimés. Cette année, le rendez-vous électoral s’est caractérisé par une très forte mobilisation (85,7% contre 81% en 2018) et a révélé une progression du oui de presque 3,5 points avec un score de 46,7%.       Un écart de seulement 10 000 voix entre le oui et le non (53,3%) sur les 180 000 électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation, qui laisse envisager un possible basculement de la tendance pour le troisième et dernier référendum prévu par l’Accord de Nouméa : « De quoi donner l’impression que personne n’a gagné, mais que personne n’a perdu »1.

Il y a deux ans, la rédaction avait consacré un premier article sur l’histoire de l’île, qui aboutissait aux enjeux d’une telle consultation référendaire. Cette semaine, retour au cœur de l’actualité du Caillou.

De l’Accord de Nouméa au référendum de 2022

L’organisation du processus référendaire remonte à l’Accord de Nouméa signé en 1998 entre les indépendantistes, les loyalistes (partisans du rattachement à la France) et l’État. Il devait, dix ans après la fin de la période violente des « Événements » (1984-1988) et l’Accord de Matignon-Oudinot, décider de l’avenir institutionnel du pays et fournir les outils nécessaires au rééquilibrage politique, économique et social de l’île2. L’Etat français s’est alors engagé au transfert progressif des compétences vers la Nouvelle-Calédonie jusqu’à celui des régaliennes3 en vue d’une autonomie totale du territoire. Il était alors prévu que cette dernière étape fasse l’objet d’une consultation de la population. Suite à l’Accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie acquiert le statut de « collectivité d’outre-mer à statut particulier » et se dote d’institutions propres : un Gouvernement, un Congrès, un Sénat et des conseils coutumiers, un Conseil économique, social et environnemental (CESE) et d’Assemblées de provinces.

Vingt ans plus tard, malgré les grandes inégalités qui demeurent entre les communautés et les aspirations antagonistes pour construire le pays, nul ne saurait nier ces deux décennies de pacification et d’efforts dans l’accomplissement des objectifs fixés par l’Accord de Nouméa. Pour n’évoquer qu’un thème cher à CASOAR, cette période a été celle d’une attention considérable donnée au développement d’établissements chargés de la valorisation du patrimoine kanak et calédonien tel que l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK), le Centre culturel Tjibaou ou encore l’Académie des Langues kanak (ALK). La recherche historique locale ne cesse d’affiner nos connaissances sur le pays et les Calédoniens ont de plus en plus accès à des outils et des lieux permettant le contact avec leur histoire. Citons ici les vestiges du bagne au village de Prony, conservés et valorisés par l’Association du Village ou les nombreux musées de Nouméa.

Où en est le « destin commun »?

Si la campagne de 2020 s’est déroulée globalement sans heurts, les périodes référendaires contribuent indéniablement à révéler les tensions politiques entre les indépendantistes et les partisans du non, solidement campés dans leurs positions. Cette cristallisation s’explique par la perspective de la sortie de l’Accord de Nouméa en 2022 après le dernier référendum d’autodétermination possible, auquel les indépendantistes ne renonceront pas4. L’historienne Isabelle Merle analyse avec inquiétude le comportement des loyalistes pendant la campagne. Ces derniers ont insisté sur la force des valeurs communes par-delà les disparités, sans jamais prendre le soin de rappeler le passé douloureux de l’île pour les uns et les autres5 . On se pose alors la question de la viabilité d’un programme basé sur une telle vision lissée de la situation et qui semble ne pas prendre en compte la réalité d’une société clivée aux aspirations antagonistes. Alors que les indépendantistes imaginent un pays autonome en association avec la France et que le parti modéré « Calédonie ensemble » envisage le maintien dans la République dans un projet négocié avec les différentes forces politiques, on déplore la politique fermée des loyalistes qui ne peut aboutir qu’à un seul durcissement du conflit. Plus tôt, Isabelle Merle avait dénoncé la dangerosité de l’autorisation donnée par l’Etat français pourtant tenu à l’impartialité, aux partis loyalistes d’utiliser le drapeau tricolore pour la campagne, faisant fi de sa portée symbolique au regard de l’histoire du pays6 .

Les résultats du référendum ont montré une fois de plus l’aspiration évidente des premiers occupants de l’île à l’indépendance, à la vue de l’écrasante victoire du oui dans les territoires à très large majorité kanak, dans la Province nord et dans la Province des îles. La situation ne se limite pourtant pas à une opposition binaire entre Blancs et Kanak. On a d’ailleurs noté un recul du non dans certaines communes traditionnellement loyalistes comme à Bourail sur la côte Ouest mais aussi à Nouméa où le oui a progressé de 5 points par rapport à 2018. Au-delà des opinions politiques, rappelons que même si les communautés sont multiples en Nouvelle-Calédonie, les mondes n’en sont pas pour autant cloisonnés : selon les chiffres de l’ISEE, près d’une personne sur dix se considérait comme métis en 2014. Par ailleurs, outre ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans ces cloisonnements communautaires, la population calédonienne est constituée à 40% de Kanak, à 27% d’Européens, à 8% de Wallisiens et Futuniens, 2% de Tahitiens, 1, 4% d’Indonésiens, 1% de Vietnamiens et 1% de Ni-Vanuatu7. En amont des élections provinciales de 2019, on a observé la naissance du parti de « l’Eveil océanien » (EO) qui défend les intérêts de la communauté wallisienne et futunienne. Les trois élus de L’EO au Congrès avaient en outre permis l’élection du leader indépendantiste Roch Wamytan à la tête de l’institution alors que le parti avait soutenu la présidence de la loyaliste Sonia Backes à la Province Sud. Le parti qui ne se proclame ni partisan du oui ni partisan du non, est bien la preuve que l’image simplificatrice d’une Nouvelle-Calédonie polarisée est à manier avec des pincettes.

A mi-chemin d’un processus référendaire en trois étapes, le scrutin du 4 octobre 2020 a révélé une certaine dynamique pour le oui, tout en rappelant la division nette qui sépare la Calédonie sur la question de son avenir ou non dans la République. Quelle que soit l’issue du référendum de 2022, c’est l’enjeu du « destin commun » qu’il conviendra de préserver et de réactualiser au-delà de l’Accord de Nouméa et avec la même intelligence collective dont avaient fait preuve les « Vieux » en signant la paix de Matignon en 1988. Un « destin commun » qu’il conviendra prioritairement de ne pas instrumentaliser pour des désirs d’assimilations à une seule identité de référence et ethnocentrée.

Soizic Le Cornec

Image à la une : Drapeaux issés par le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie © Soizic Le Cornec, 2018.

1 Nouvelle-Calédonie la 1ère, 2020. Référendum 2020 en Nouvelle-Calédonie : ce qu’on peut en retenir.

2 « Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 ».

3 Les compétences régaliennes sont les « compétences fondamentales de l’Etat et du pouvoir souverain » (définition de l’ISEE). A ce jour non transférées à la Nouvelle-Calédonie, il s’agit de la justice, l’ordre public, la défense, la monnaie et les affaires étrangères.

4 Un troisième et dernier référendum sera organisé si au moins un tiers des membres du Congrès en dépose la demande.

5 Merle I., 2020. « La Nouvelle-Calédonie rêvée des loyalistes à l’orée du référendum pour l’indépendance ». In AOC media.

6 Merle I., 2020. Nouvelle-Calédonie : « L’emblème national ne devrait pas être approprié par un camp partisan et encore moins instrumentalisé dans une campagne électorale ». In Le Monde.fr.

7 Institut de la statistique et des études économiques – Nouvelle-Calédonie (ISEE), 2014, Recensement de la population.

Bibliography:

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