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L’Océanie s’expose au pied de la Tour Eiffel

         Cet article met en regard l’exposition Oceania du musée du Quai Branly – Jacques Chirac avec l’exposition Oceania qui a eu lieu à la Royal Academy de Londres de septembre à décembre 2018. Veuillez retrouver notre premier article sur l’exposition londonienne here.

       Après deux visites de l’exposition Oceania à la Royal Academy, c’est au musée du Quai Branly – Jacques Chirac que j’ai réalisé ma troisième visite de l’exposition dans sa version française, cette fois-ci appelée Océanie. Si dans notre premier article je m’étais concentré sur une présentation détaillée de l’exposition, nous allons ici essayer de la présenter sous un angle comparatif.

Gauche : Affiche de l’exposition Oceania à la Royal Academy, Londres.
Droite : Affiche de l’exposition Oceania au musée du Quai Branly – Jacques Chirac, Paris.

       Lors de ma visite de l’exposition à Paris, mon œil est à l’affut de toute possible différence de scénographie et de présentation entre Oceania and Oceania. Je dirai qu’avant même de pénétrer dans le lieu d’exposition les affiches des deux évènements sont différentes : les choix graphiques entre celle de Londres et celle de Paris sont diamétralement opposés. Là où Londres présentait une sculpture des îles Cook sur un fond bleu avec un titre Orange de manière assez simple, Paris a joué la carte de l’Océan et du voyage. En effet on découvre sur l’affiche d’Oceania un nguzunguzu (objet qui se plaçait à l’avant des pirogues salomonaises) flottant sur un motif de vagues. Là où la Royal Academy a préféré la sobriété, le quai Branly a opté pour l’audace. D’après moi, bien que l’une des affiches soit plus innovante, elles ne remplissent vraiment le contrat ni l’une ni l’autre, l’une restant assez épurée quand l’autre s’aventure, à mon goût, un peu trop dans les clichés européens du Pacifique, bien qu’en effet, l’océan soit un élément central de la vie dans le Pacifique.
Les institutions qui présentent les deux expositions sont également très différentes. En effet, alors qu’Oceania se trouvait dans un bâtiment historique qui fêtait ses 250 ans en même temps que les 250 ans de l’arrivée de Cook dans le Pacifique, Oceania se situe elle dans un musée qui n’a qu’une dizaine d’années et qui a été construit dans le but de présenter les arts extra-européens de façon permanente. Là où la Royal Academy a cet aspect prestigieux comme le Pavillon des Sessions du musée du Louvre pourrait l’avoir, le musée du Quai Branly – qui n’est pas pour autant moins prestigieux – permet au visiteur de l’exposition Oceania de continuer son voyage sur le plateau des collections afin de continuer sa découverte des cultures de l’océan Pacifique.

Première salle de l’exposition Oceania sur le thème du voyage.
© Photographies : Clémentine Débrosse

     À l’entrée de l’exposition, tout comme à Londres, nous retrouvons l’œuvre d’art contemporain Kiko Moana. Elle est présentée en préambule dans un espace où l’on retrouve les textes introductifs indispensables à la compréhension de l’exposition. Tout comme à Londres, c’est ensuite un espace bleu qui nous attend afin d’aborder le thème du « voyage ». Ce voyage est une façon d’évoquer le rapport des habitants du Pacifique à l’océan et aux autres voies d’eau. Dans son approche visuelle et thématique, la première salle est donc, à mon sens, relativement proche et similaire de la première salle de l’exposition londonienne. Si les deux expositions se basent sur un parcours thématique, l’exposition de Paris a su apporter une dimension chronologique supplémentaire. En effet, cette première salle dédiée au « voyage » présente parmi les objets les plus anciens de l’exposition – notamment les pagaies hoe  de Nouvelle-Zélande –, qui ont donc fait partie des premières collectes dans le Pacifique. Grâce à la disposition des objets, l’évocation du mouvement lié au voyage et à la navigation est également assez probante.  Ce voyage nous emmène ensuite vers la deuxième grande salle de l’exposition.

Deuxième salle de l’exposition Oceania sur le thème du développement des cultures et des croyances. © Photographies : Clémentine Débrosse

      Cette deuxième salle qui a pour thème le développement des cultures et des croyances regroupait à l’origine trois salles, et donc trois thèmes différents à la Royal Academy de Londres. Cette salle est recouverte d’un jaune ocre très présent. En plus de l’ocre jaune, cette couleur rappelle aussi le curcuma qui a par endroit dans le Pacifique une dimension sacrée et qui est utilisé lors de cérémonies. Cette salle est la première à vraiment mettre en avant le dialogue entre art contemporain et ancien au sein d’un même espace. En effet, bien que Kiko Moana soit présente en introduction, la confrontation entre passé et présent est plus marquante, à mon sens, dans cette deuxième salle. Par ailleurs, la force de cette salle est sa grandeur qui permet de garder une dimension « objet d’arts » des objets présentés tout comme à Londres. En revanche, nous retrouvons les objets dans des vitrines individuelles à Paris, avec une possibilité de les voir sous tous les angles, ce qui donne une visibilité beaucoup plus importante par rapport à Londres.

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Vue de la cape et du casque hawaïen. © Photographie : Clémentine Débrosse

        Si cette salle est très différente dans sa scénographie, c’est aussi là qu’on retrouve le plus de différences par rapport aux objets exposés. En effet, tous les objets exposés à Londres n’ont pas pu traverser la Manche. La sculpture du dieu Ku, un Moai en basalte de Rapa Nui ainsi que le costume de deuilleur Tahitien ne sont pas exposés à Paris.
De plus, dans l’espace suivant qui évoque les objets de valeur et les objets d’échange, les deux effigies en plumes hawaïennes exposées à Londres n’ont pas fait partie du voyage et, bien qu’un objet n’en remplace pas un autre, l’exposition parisienne montre un mahiole (casque à plumes hawaïen) dans l’alignement de la cape en plumes afin de proposer au visiteur une vision de ce à quoi un chef hawaïen, vêtu de son casque et de sa cape, pouvait ressembler.
De manière générale, cette grande salle qui présente la diversité et la richesse des cultures permet une découverte plus libre des objets aux visiteurs bien que rythmée par des petites thématiques sous-jacente comme les grandes maisons, les dieux et ancêtres ou encore les performances cérémonielles incluant les arts de la guerre.

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Troisième salle sur le thème de la rencontre entre les européens et les insulaires. © Photographie : Clémentine Débrosse

      Dans l’espace suivant on découvre une salle blanche, où est présentée la rencontre entre les européens et insulaires du Pacifique à travers des objets produits après la colonisation – dans un contexte où évoluent de nombreux marchands et où ont lieu de nombreux échanges – qui montrent, notamment, des traces de la missionarisation. Cette salle est, à mon sens, celle qui est la plus réussie de l’exposition en comparaison à son pendant anglais.
Par ailleurs, cette salle est, en quelques sortes, un préambule à la vidéo in Pursuit of Venus [infected] de Lisa Reihana qui apparaît dans la salle suivante. Si la troisième salle présente au visiteur comment le monde européen a été assimilé par les insulaires dans leur art, la vidéo de Reihana permet un retour critique sur la salle des rencontres. En effet, la vidéo montre la rencontre physique entre les peuples du Pacifique et le capitaine Cook et son équipage. Par ailleurs, Reihana fait le choix de montrer le moment de la mort de Cook (vous pouvez retrouver here un article consacré à ce sujet), comme une rupture dans l’histoire de la « découverte » du Pacifique.

       Enfin, l’exposition se termine sur un dernier espace dédié à la mémoire et aux défis contemporains (voir la photo de couverture). Bien que les objets présentés soient similaires à Londres, Stéphanie Leclerc-Caffarel, commissaire associée de l’exposition à Paris, a choisi de mettre davantage l’accent sur les œuvres contemporaines afin d’inviter le visiteur à s’interroger sur l’actualité et le futur du monde océanien. En effet, comme par le passé, la mémoire est un élément très important pour les insulaires du Pacifique au jour d’aujourd’hui afin de garder cette connexion avec le monde pré-colonial. Mais les œuvres contemporaines le sont peut-être encore plus afin que les cultures insulaires continuent d’exister. C’est pourquoi à Paris,  Dites-leur de Kathy Jetnill-Kijner est présenté en clôture de l’exposition – plutôt qu’en début d’exposition comme c’était le cas à Londres – car il parle du réchauffement climatique dans le Pacifique, et plus précisément aux Îles Marshall. Ce poème est donc un portrait poignant et poétique de la vie aux Îles Marshall, un appel à l’attention du public non-insulaire. Par ce choix, le visiteur se retrouve finalement confronté aux dures réalités qui frappent le Pacifique de nos jours. Si ce discours est plus présent à la fin de l’exposition, il n’est pas pour autant délaissé dans le reste de son parcours qui parle lui aussi de la résilience de ces cultures et de leur capacité à s’adapter et à se renouveler.

    Bien que partageant un même nom et un commissariat principal similaire, les expositions Oceania and Oceania montrent de nombreuses différences, les plus visibles étant dans l’aspect scénographique de ces dernières. Si l’exposition londonienne était ancrée dans un très fort passé historique et avait une grande dimension évènementielle, c’est un peu moins le cas pour Océanie. Cependant, l’exposition parisienne permet tout de même au public français de découvrir des objets qui ne sont que très rarement réunis, et par ce fait est un événement en soit. Vous pouvez allez découvrir l’exposition Oceania au musée du Quai Branly – Jacques Chirac jusqu’au 7 juillet 2019.

    Je souhaite remercier chaleureusement Stéphanie Leclerc-Caffarel pour le temps qu’elle m’a accordé afin de parler de l’exposition Oceania, et des changements effectués entre les expositions parisiennes et londoniennes.

Clémentine Débrosse

Image à la une : Quatrième salle sur le thème de la mémoire et des défis contemporains.
© Photograph : Clémentine Débrosse

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