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Laplap and nalot, héritages culinaires du Vanuatu

Laplap : ces deux syllabes, dont la sonorité est familière à tous les ni-Vanuatu, sont synonymes de convivialité et désignent un plat à partager consommé très couramment encore aujourd’hui et depuis plusieurs siècles dans l’archipel.
Une multitude d’objets, communs ou de prestige, était et est parfois encore impliquée dans la préparation, la présentation et la consommation de ce plat, qui est volontiers désigné par ses créateurs comme le plat national du Vanuatu.

Un laplap à partager, photographie prise dans le village d’Erakor © Ana Krajinović. Source : https://anakrajinovic.com.

Des portions individuelles de laplap © Creative Commons. Source : Alchetron

S’il faut le réduire à son essence, le laplap se compose d’une grande quantité de tubercule râpé et traditionnellement cuit à l’étouffée dans une enveloppe protectrice de larges feuilles de musa (bananier) ou d’heliconia indica.

Le tubercule en question varie en fonction des occasions et du lieu ; cependant, l’igname (dioscorea) ainsi que le taro (colocasia) sont plus valorisés que d’autres tubercules comme le manioc (manihot esculenta) ou la patate douce (ipomoea batatas). On utilise également parfois la banane comme base au laplap.

Cette pâte de tubercule râpé est souvent généreusement hydratée de lait de coco, fabriqué à partir de la pulpe du fruit pressé.

Igname (dioscorea)

Taro (colocasia)

Feuilles de bananier

Le laplap étant très consistant et nourrissant, il n’est pas nécessairement accompagné de viande mais il l’est presque systématiquement lorsqu’il est consommé dans de grandes occasions, avec par exemple du poulet, du boeuf, du poisson ou encore de la tortue. Les protéines peuvent être intégrées à la préparation en étant disposées entre deux couches de pâte de tubercule avant la cuisson en four à pierres chaudes ou moderne, ou encore présentées à part. Il existe un type particulier de laplap au boeuf très populaire, le luluk, dans lequel la viande est intégrée entre les couches de tubercule.

L’aspect final du laplap, de forme circulaire ou rectangulaire en fonction de la disposition des larges feuilles lui servant d’enveloppe, est semblable à un pudding ferme. La préparation cuite est enfin parfois agrémentée de chou, de noix de nangailles (canarium indicum) ou de noix de coco fraîchement râpée ou rôtie.

Et puisqu’une image vaut (parfois) mille mots, voici comment préparer le laplap, expliqué par les ni-Vanuatu eux-mêmes :

Le laplap est traditionnellement préparé par les femmes, qui ont fait de son élaboration une expertise dont elles sont fières. La préparation implique un travail physique de longue durée : parmi ces étapes, citons la chauffe des pierres lisses de rivières servant à cuire dans le four traditionnel, l’épluchage puis le râpage méticuleux des tubercules, l’extraction de la chair de coco puis son essorage pour en obtenir le lait servant à arroser la pâte de tubercule.

Une femme ni-Vanuatu préparant le laplap. Photographie d’Edgar Aubert de la Rüe (1901-1991), réalisée entre 1934 et 1935 sur l’île de Tanna, Tafea, au Vanuatu. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris. Source : https://www.quaibranly.fr/fr/explorer-les-collections/

Traditionnellement, les hommes avaient plutôt tendance à consommer un autre plat semblable au laplap, appelé le nalot. Pour le fabriquer, les hommes prenaient soin de faire cuire les tubercules entiers avant de les pilonner sur un plat en bois. La texture obtenue était alors plus lisse et plus douce que celle du laplap, fait de tubercules pelé et râpés avant la cuisson. La préparation du nalot et l’utilisation des couteaux servant à le partager est aujourd’hui démocratisée, mais les survivances sociales discrètes de cette tradition provoquent toujours, dans certaines îles, le rire des femmes ni-Vanuatu qui décident de prendre en charge la préparation lorsque les hommes sont absents.

Des hommes sont rassemblés autour du laplap cuit pour le découper. Photographie d’Edgar Aubert de la Rüe (1901-1991), réalisée entre 1900 et 1936 sur l’île de Malekula, au Vanuatu. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris. Source : https://www.quaibranly.fr/fr/explorer-les-collections/

Les objets liés à ce plat, à savoir les pilons, les couteaux et les plats, sont cependant traditionnellement masculins. Se faisant plus rares aujourd’hui au Vanuatu et conservés au-dessus des âtres pour éviter les attaques des insectes xylophages, ils revêtent au fil du temps une patine sombre et croûteuse de fumée.

Pilons à nalot. © Paris, Réunion des Musées Nationaux. Source : BONNEMAISON, J., et al., 1996. Vanuatu Océanie : Arts des îles de cendre et de corail, catalogue d’exposition. Paris, Réunion des musées nationaux.

Les pilons, couteaux et plats, le plus souvent en bois ou en bambou, adoptent des formes variées plus ou moins sophistiquées qui dépendent à la fois du grade et/ou du statut social des hommes aptes à employer ces objets, ainsi que des motifs personnels développés à la fois par chaque groupe et par les artistes en charge de leur élaboration. À chaque grade correspondait un ensemble de droits, qui étaient liés à travers l’archipel du Vanuatu au foyer de la maison des hommes (nakamal) grâce auquel les hommes détenteurs de ces droits cuisaient leur nourriture. À chacun de ces foyers, et donc à chaque grade, correspondait un ensemble d’objets lié à la préparation et à la consommation du plat. Aux îles Banks, ce système statutaire masculin était nommé sukwe, et aux îles Torres, huka.

La variété de formes et de motifs de ces objets est particulièrement bien illustrée dans les superbes planches de dessins publiées par l’anthropologue suisse Félix Speiser dans Ethnology of Vanuatu : An Early Twentieth Century Study en 1996.

Planches 22 & 23 présentant différentes typologies de couteaux et de pilons à nalot. © Hawaii: University of Hawaii Press. Source : SPEISER, F., 1996 [1923]. Ethnology of Vanuatu : An Early Twentieth Century Study. Traduit de l’Allemand par D. Q. Stephenson. Hawaii, University of Hawaii Press.

Dans les îles du Sud, les couteaux étaient en bambou tranchant, connus sous le nom de nawu dans l’île d’Aneityum, de mat’chira à Futuna et Aniwa, nao à Erromango et nau à Tanna. Vers le Nord, les couteaux en bambou se raréfient au profit des couteaux en bois. Au sud de l’île de Pentecôte, ils sont appelés généralement ai, au Nord d’Ambrym, asi, ou encore tali and talei chez les Big Nambas du Nord de Malakula. Certains couteaux utilisés à Atchin étaient sculptés dans des fémurs humains. D’autres encore pouvaient être sculptés dans de l’écaille de tortue.

Les couteaux à motifs, qui étaient donc intimement liés à chaque homme et à son grade, étaient enterrés avec leur propriétaire la plupart du temps, afin qu’il puisse en faire bon usage pendant le chemin parcouru jusqu’au monde des morts et continuer à se nourrir de la façon qui convenait à un haut gradé.

Planches 24 & 25 présentant différentes typologies de plats à nalot. © Hawaii: University of Hawaii Press. Source : SPEISER, F., 1996 [1923]. Ethnology of Vanuatu : An Early Twentieth Century Study. Traduit de l’Allemand par D. Q. Stephenson. Hawaii, University of Hawaii Press.

Les plats en bois utilisés pour la consommation du laplap et du nalot se distinguent, tout comme les couteaux, par le large éventail de motifs sculptés qu’ils présentent. Il peut s’agir selon les exemplaires de figures animales, souvent des tortues, ou encore humaines. Les motifs crantés sur le pourtour de ces objets servaient à mettre en valeur l’importance de la nourriture qu’ils accueillaient. Les plats de plus grande taille étaient consacrés à la consommation du nalot.

Les pilons à nalot, employés par les hommes pour transformer le laplap cuit, sont pour certains de véritables prouesses de sculpture. Leur manche, utilitaire, était lisse mais ils portaient une figure humaine ou animale à leur sommet.

Un nakamal photographié en 2007. © Eric Lafforgue. Source : www.ericlafforgue.com

The nakamal étaient encore nombreux à la fin du XIXème siècle, mais aujourd’hui ces architectures masculines ne subsistent que dans certaines îles, ou se sont démocratisées et ne sont plus utilisées seulement par les gradés masculins. Il est par ailleurs intéressant de remarquer que les activités liées au laplap et au nalot se sont déplacées dans certaines îles de l’archipel vers les maisons-cuisines, des architectures contemporaines d’importance sociale aujourd’hui considérable.

Si préparer une version contemporaine du laplap vous tente, plusieurs recettes sont disponibles en ligne ; en voici une qui – c’est promis – ne nécessite pas la construction d’un four traditionnel à pierres chaudes. Cliquez here pour découvrir la recette du blog Piment Oiseau.

Elsa Spigolon

Je remercie sincèrement et chaleureusement Marie Durand, qui m’a très gentiment accordé un peu de son temps précieux pour répondre à mes questions sur le laplap et sur son terrain de recherche à Mere Lava !

Image de couverture : © Volunteer Service Abroad (VSA) New Zealand

Bibliography:

  • BONNEMAISON, J., et al., 1996. Vanuatu Océanie : Arts des îles de cendre et de corail, catalogue d’exposition. Paris, Réunion des musées nationaux.
  • DURAND, M., 2016. « Du nakamal à la maison-cuisine : chronique socio-architecturale de Mere Lava (Vanuatu) », Journal de la Société des Océanistes 142-143, pp. 223-239.
  • Food Matters, « Wild & Free: Episode 4 – LapLap Making », Youtube, [En ligne] | 2020, mis en ligne le 19 février 2020, consulté le 02 mars 2021. URL : https://www.youtube.com/watch?v=rFP5ExvvHSA
  • SPEISER, F., 1996 [1923]. Ethnology of Vanuatu : An Early Twentieth Century Study. Traduit de l’Allemand par D. Q. Stephenson. Hawaii, University of Hawaii Press.
  • Wallis-et-Futuna la 1ère, « TALANOA: Rubrique cuisine Lap lap – Nelson Kasso », Youtube, [En ligne] | 2019, mis en ligne le 15 avril 2019, consulté le 02 mars 2021. URL : https://www.youtube.com/watch?v=VoZOm1Lwo_w

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