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Ka Mate ! le haka superstar

Si je vous dis haka, à quoi songez-vous ? Ce sont sans doute les All Blacks, membres de l’équipe nationale de rugby à XV de Nouvelle-Zélande qui surgissent dans votre esprit. Et pour cause, les sportifs ont largement contribué à populariser le haka avec leur célèbre Ka Mate !, une danse guerrière réalisée depuis 1987 à chaque début de match.1

Mais que sait-on réellement du haka ? Cette semaine, CASOAR vous embarque pour la Nouvelle-Zélande à la découverte de cette célèbre pratique. 

Le haka des All Blacks s’appelle le Ka Mate ! or Te Rauparaha haka du nom de son créateur. Il aurait été réalisé pour la première fois par le chef maori Te Rauparaha en 1820 alors que celui-ci tentait d’échapper à ses ennemis. Les paroles du Ka Mate ! expriment à la fois l’exaltation de la survie et l’angoisse d’être tué. Au rugby, elles évoquent le désir de gagner et la peur de perdre.2

Mais loin de ne se résumer qu’au célèbre Ka Mate !, le terme haka, qui signifie “danser”, regroupe un ensemble de pratiques culturelles (chants, danses, exposition d’armes). Il existe de très nombreux haka, propres à chaque circonstance : la pratique permet de souhaiter la bienvenue, de fêter une victoire ou encore d’honorer la mémoire d’un défunt. Cette pratique permet d’exprimer une large palette d’émotions. Elle sert également de support à la transmission des connaissances, que celles-ci soient relatives aux mythes fondateurs ou à des événements historiques ou contemporains.3

Le haka est une pratique ancienne déjà mentionnée en 1642 par le navigateur hollandais Abel Tasman, premier européen à accoster en Nouvelle-Zélande.4 Face aux événements historiques et changements sociétaux, la pratique a su s’adapter pour rester, encore aujourd’hui, bien vivante. 

Au XIXème, bien que condamnée par les missionnaires chrétiens, la pratique du haka perdure et connaît même, à partir du milieu du siècle, un développement nouveau avec l’essor du tourisme. Des troupes de haka maoris commencent à apparaître à Rotorua, région touristique très prisée des colons britanniques. Ces troupes se produisent lors de spectacles mêlant haka and poi (autre art maori consistant à jongler avec de petites balles lestées attachées à une cordelette) sur de la musique occidentale (jazz, blues) pour le plus grand plaisir des vacanciers. C’est à cette époque que le haka, connoté comme étant agressif et guerrier, devient une pratique essentiellement masculine tandis que le poi, jugé plus doux, devient une pratique féminine. Cette adaptation genrée du haka et du poi répond aux attentes des touristes concernant l’idée qu’ils se font des hommes et femmes maoris. À l’origine pourtant le haka était une pratique mixte tandis que le poi était au contraire un entraînement guerrier réservé aux hommes (leur permettant de développer leur musculature et leur habileté). Peu à peu, des troupes se forment dans toute la Nouvelle-Zélande et des tournées sont organisées. 

À partir des années 1930, des compétitions entre troupes commencent à se développer. Aujourd’hui, le kapa haka (pratique regroupant l’ensemble des arts performatifs maoris) est un sport à part entière bénéficiant de règles établies : une performance dure en général 30 minutes et se compose d’une entrée chorégraphiée (whakaeke), d’une prière séculaire (moteatea), d’une chanson de gestes (action song or waiata-a-ringa), d’une danse poi, d’un haka et enfin d’une sortie (whakawatea). La principale compétition du genre, appelée Te Matatini, est même retransmise à la télévision néo-zélandaise.5 Le haka est par ailleurs devenu en 2002 une discipline scolaire obligatoire confirmant ainsi son rang d’icône mais également son rôle fédérateur pour tous les néo-zélandais.6

Malgré tout, ce sont bien les All Blacks, membres de l’équipe nationale de rugby à XV de Nouvelle-Zélande, qui ont fait du haka une star internationale avec leur célèbre Ka Mate !. C’est lors d’une tournée non-officielle en Angleterre en 1888 que l’équipe, alors maori, effectue pour la première fois son haka avec pour objectif  d’attirer du public pour financer la suite de sa tournée.7 Au début du XXème siècle, le Ka Mate ! est populaire à l’international mais l’équipe de rugby l’effectue encore de manière irrégulière. La danse devient finalement sa signature en 1987 lors de la première coupe du monde de rugby à XV. Celle-ci est organisée en Nouvelle-Zélande : les All Blacks réalisent pour la première fois leur Ka Mate ! à domicile et remportent la compétition.8

La pratique du haka se répand alors comme une traînée de poudre. Aujourd’hui, presque toutes les équipes de sports néo-zélandaises pratiquent le haka qu’il s’agisse du Ka Mate !, d’un autre haka ancien ou d’une création. Parmi ces équipes nous pouvons mentionner les Tall Blacks, l’équipe nationale de basket ou encore les Black Sox, l’équipe nationale de softball. Par ailleurs, les All Blacks sont rapidement imités par différentes équipes de rugby du Pacifique à l’instar de celles des îles Fidji, de Samoa ou encore de Tonga.9

Mais l’histoire de ce succès mondial n’est pas qu’un long fleuve tranquille ! De nombreux débats existent autour de la pratique contemporaine du haka

Ces derniers concernent entre autres l’image agressive du haka entretenue par les All Blacks. Nous pouvons notamment songer à la controverse suscitée par l’introduction, en 2005, d’un nouveau haka appelé Kapa o Pango et intégrant un geste d’égorgement, jugé par certains acteurs violent et inadéquat.10 De plus, ce jeu autour de l’agressivité pose la question de l’image que l’équipe de rugby renvoie du haka et par extension des cultures maoris. Il est notamment intéressant d’observer les campagnes publicitaires mettant en scène les All Blacks. À ce titre, la campagne publicitaire menée par Adidas à l’occasion de la coupe du monde de rugby de 1999 constitue un excellent exemple. Celle-ci associe l’image des joueurs à celle de guerriers maoris à l’air agressif. Pour différents auteurs comme Steven J. Jackson, Jay Scherer et Stéphane Héas dans l’article Sports et performances indigènes : le haka des All Blacks et les politiques identitaires de Nouvelle-Zélande (2007)11 ou encore Brendan Hokowhitu dans Tackling Māori Masculinity: A Colonial Genealogy of Savagery and Sport (2004)12, cette mise en scène contribuerait à renforcer les stéréotypes autour d’une masculinité maori sauvage et violente. 

Dans son article (2004)13, Brendan Hokowhitu s’interroge sur la représentation de la masculinité maori notamment dans le sport et en particulier dans le rugby. Pour lui, le caractère supposément sauvage et violent des hommes maoris serait un héritage des discours mis en place pour justifier la colonisation britannique. Ces stéréotypes auraient par la suite été entretenus notamment par le cinéma et la littérature. Les hommes maoris y auraient été dépeints comme dominés par leurs passions, immoraux et brutaux. Néanmoins, cette vision est contrebalancée par un stéréotype jugé plus positif dépeignant l’homme maori comme naturellement athlétique. Cette vision serait un héritage de l’idéal du noble sauvage, vivant en harmonie avec son environnement, nourri par les récits des premiers explorateurs et de certains philosophes des Lumières à l’instar de Rousseau. La réflexion de Brendan Hokowhitu le conduit à concevoir le sport comme une forme d’assimilation qui, sans trahir l’imaginaire construit autour de l’homme maori, lui permet de s’intégrer en répondant aux attentes d’une masculinité blanche dans un cadre défini, l’agressivité devenant un atout dans l’espace clos du stade. Ainsi, le sport constitue le domaine par excellence dans lequel les hommes maoris peuvent obtenir une reconnaissance de tous sans remettre en question le discours dominant. Aujourd’hui, le succès des maoris dans le sport de haut niveau et notamment au rugby sert un discours d’égalité des chances, le sport étant considéré comme un reflet de la société. 

D’art performatif ancien, vecteur d’émotions et de connaissances, le  haka a su se réinventer pour devenir au cours du XXème siècle un symbole de l’identité maori puis de l’identité multiculturelle néo-zélandaise se faisant une place dans l’univers du spectacle puis du sport pour gagner tous les champs de la société. Néanmoins, des débats existent, questionnant notamment la perpétuation de stéréotypes autour de la masculinité maori.

Nous espérons que cette découverte ou redécouverte du haka vous aura plu. À bientôt sur CASOAR !

Margot Kreidl 

Cover picture : Le haka sulfureux des All Blacks avant leur large victoire face à l’Ireland (vidéo), Le Soir, © AFP : https://www.lesoir.be/254869/article/2019-10-19/le-haka-sulfureux-des-all-blacks-avant-leur-large-victoire-face-irlande-video

1 FREDON, J., 2004. « En Nouvelle-Zélande, le haka, c’est bien plus que du sport », Outre-Terre 3 (8), pp. 131-134.
https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2004-3-page-131.htm?contenu=resume

2 Ibid.

3  VALZER S. Le Haka à travers les âges : du mythe fondateur au terrain de rugby, Fresques INA : https://fresques.ina.fr/danses-sans-visa/parcours/0007/le-haka-a-travers-les-ages-du-mythe-fondateur-au-terrain-de-rugby.html (consulté le 03.03.2021).

4 Ibid

5 Ibid.

6 FREDON, J., 2004. « En Nouvelle-Zélande, le haka, c’est bien plus que du sport », Outre-Terre 3 (8), pp. 131-134.
https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2004-3-page-131.htm?contenu=resume

7 Ibid. 

8 VALZER S. Le Haka à travers les âges : du mythe fondateur au terrain de rugby, Fresques INA : https://fresques.ina.fr/danses-sans-visa/parcours/0007/le-haka-a-travers-les-ages-du-mythe-fondateur-au-terrain-de-rugby.html (consulté le 03.03.2021).

9 Ibid. 

10 JACKSON, S. J., SCHERER, J., HEAS S., 2007. « Sports et performances indigènes : le Haka des All Blacks et les politiques identitaires en Nouvelle-Zélande », Corps 1 (2), pp. 43-48. https://www.cairn.info/revue-corps-dilecta-2007-1-page-43.htm

11 Ibid. 

12 HOKOWHITU, B., 20014. « Tackling Maori Masculinity : A Colonial Genealogy of Savagery and Sport, The Contemporary Pacific 16 (2), pp. 259-284.
https://www.jstor.org/stable/23721783

Bibliography:

  • FREDON, J., 2004. « En Nouvelle-Zélande, le haka, c’est bien plus que du sport », Outre-Terre 3 (8), pp. 131-134.
  • HOKOWHITU, B., 20014. « Tackling Maori Masculinity : A Colonial Genealogy of Savagery and Sport, The Contemporary Pacific 16 (2), pp. 259-284.
  • JACKSON, S. J., SCHERER, J., HEAS S., 2007. « Sports et performances indigènes : le Haka des All Blacks et les politiques identitaires en Nouvelle-Zélande », Corps 1 (2), pp. 43-48.
  •  VALZER S. Le Haka à travers les âges : du mythe fondateur au terrain de rugby, Fresques INA : https://fresques.ina.fr/danses-sans-visa/parcours/0007/le-haka-a-travers-les-ages-du-mythe-fondateur-au-terrain-de-rugby.html (consulté le 03.03.2021).

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