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Des voyages et des ouvrages : la collection Jean-Paul Morin vue par Jean-Paul Morin

Le 14 octobre prochain à Sotheby’s se déroulera une importante vente d’ouvrages, de manuscrits et d’objets réunis par Jean-Paul Morin, voyageur passionné et collectionneur prolifique. Récits d’explorateurs, de scientifiques, d’ethnologues, de missionnaires ou d’artistes : tous ces ouvrages racontent une histoire du monde, des voyages et des cinq continents. CASOAR est parti à la rencontre de l’homme derrière les collections et vous livre une interview exclusive de ce fou du voyage.

Ex-Libris de Jean-Paul Morin. © Sotheby’s

Bonjour Monsieur Morin ! Face à l’immensité de votre collection actuelle, on se demande tout d’abord comment tout cela a commencé… Comment vous est venu le goût des livres et l’envie de les collectionner ?

Je n’en ai sincèrement aucune idée ! C’est venu si ​naturellement… J’ai commencé lorsque j’avais une vingtaine d’années avec des livres sur l’Indochine et toute la partie Asie du sud-est, colonies françaises et ex-colonies britanniques. Pourquoi ? Je ne sais pas pourquoi, je ne m’en souviens même plus ! Je ne sais pas si il y avait une raison. Un hasard de vente, un hasard de livres ? J’étais passionné par ces livres de voyage et donc, petit à petit, j’en ai acheté de plus en plus. Et puis après, je suis allé vers d’autres horizons, d’autres contrées, y compris l’Océanie, peut-être un peu plus tard que d’autres domaines : plutôt dans les années 1990, alors que j’ai commencé à collectionner dans les années 1970 !

 

 

Parmi les ouvrages mis en vente et concernant l’Océanie, quels seraient, d’après vous, les écrits phares ?

Le plus fabuleux, mais vraiment fabuleux de chez fabuleux, c’est le Radiguet qui date du XIXème siècle ! Il était, je crois, avec Du Petit Thouars et il a écrit et dessiné des choses extraordinaires sur l’Océanie. Il comporte des dessins fabuleux d’objets, de pièces, à tel point que j’ai longtemps hésité à le mettre à la vente. Je ne voulais pas le mettre tant il était fabuleux… ​Ce n’est certainement pas la pièce la plus chère ni la plus glorieuse de tous mes livres, mais c’est une pièce absolument incroyable !

Un livre de chevet parmi toute votre collection ?

Il y en a un que j’ai mis en vente et je n’aurais peut être pas dû le faire, c’est André Thevet, la France Antarctique. C’est encore un livre fabuleux. Mais pour vous dire la vérité, j’ai gardé quelques trésors chez moi… Il ne faut pas le dire !

Ce sont ces livres qui vous ont fait voyager ? Des récits d’aventuriers que vous avez voulu vivre vous même ?

En réalité, j’ai toujours voyagé, depuis mon plus jeune âge, dès que j’avais 10-12 ans. J’ai commencé par aller en pension, mais ça, ce n’est ​peut être pas moi qui l’avait choisi ! Puis, j’ai voyagé en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, et j’en ai gardé de ​bons souvenirs. Je voyageais d’abord pour fuir mes parents ! J’ai commencé par l’Europe, et petit à petit, quand j’ai terminé mes études, j’ai commencé à découvrir l’Asie et l’Indochine.

Chaque année, je m’organisais pour partir une ou deux semaines aux alentours de Noël. Par la suite, mes activités professionnelles m’ont amené dans tous les pays du monde, mais malheureusement je n’y restais qu’un ou deux jours ! Je n’avais plus le temps de visiter comme je l’aimais. Alors, depuis que je suis en retraite, je voyage énormément… Sauf cette année évidemment ! Mais auparavant, je suis allé sept ou huit fois en Antarctique, cinq ou six fois dans l’Arctique. Je m’emploie à découvrir des pays que je ne connais pas, et comme je suis libre je pars un mois, deux mois voire trois mois ! Et c’est un grand privilège.

Y-a-t-il​​ un pays où vous n’êtes pas allé et que vous aimeriez beaucoup visiter ?

À priori non parce que je suis un enfant gâté (rires), dès qu’il y a quelque chose que j’ai envie de faire je le fais ! Mais il y a une chose que je n’ai fait qu’en partie et que je devais faire cette année, ce sont les îles sub-antarctiques qui dépendent de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. Ce sont des îles absolument fabuleuses où je suis déjà allé il y a quelques années, mais je n’étais pas resté très longtemps. Je devrais y être en ce moment d’ailleurs.. Mais il y a je ne sais pas​​ quoi, un petit virus qui a conduit à l’annulation !

Pour en revenir aux collections, vous avez commencé à collectionner les objets après les livres donc ?

Tout à fait. Je me souviens que j’ai commencé par collectionner des bateaux. L’un des premiers bateaux que j’ai trouvé venait des îles Cook et provenait de la collection Hooper, à double coques avec incrustations de nacres. Je l’ai toujours et j’y suis très attaché, évidemment ! À la suite de ça, j’ai commencé à collectionner tous les bateaux de la région, toute l’Indonésie, j’en ai eu un paquet ! Ceux-là, je les ai vendu dans les années 2011-2012 chez Pierre Bergé. À cette époque, j’ai vendu quelques cinquante ou quatre-vingt bateaux de cette région.

Pirogue votive, Îles l’Hermite, Papouasie Nouvelle Guinée. © Sotheby’s

Les bateaux, pour vous rapprocher des récits d’explorateurs ?

Je suis marin depuis toujours ! Je fais du bateau depuis ma jeunesse, j’ai été régatier, moniteur, j’ai fait X fois le tour de la France. Par contre, je n’ai jamais traversé l’Atlantique, mais je suis allé souvent en Angleterre ou en Espagne… Depuis toujours, j’adore la mer, et je vis au bord de la mer maintenant, en Bretagne !

Concernant les autres objets de votre collection, avez-vous une motivation qui se veut d’abord esthétique, symbolique… ?

Je ne sais pas ! J’adore l’objet, j’adore la matière, j’adore collectionner. Au départ, je pense que ça a été la prolongation de la bibliophilie. Il y avait dans ces livres des illustrations et des photographies d’objets de toutes ces régions. J’ai voulu en avoir pour voir ce que c’était et… Petit à petit, j’ai continué ! De la même façon, avec les photos d’ethnographie, ça m’a intéressé d’avoir des photos des chefs des tribus de Papouasie-Nouvelle-Guinée ou de toutes ces régions qui étaient extraordinaires… Puis, beaucoup plus tard, au début des années 1990, je suis tombé sur les Kachinas, j’ai eu une passion pour elles et je me suis mis à les collectionner : ce sont des œuvres symboliques, rituelles, qui sont chargées d’une âme, d’une personnalité, en général petites, colorées, que j’adore.

Quels sont les objets qui vous touchent et vous inspirent particulièrement, concernant l’Océanie ?

J’ai beaucoup d’objets d’Océanie et je les aime beaucoup. Les massues et les casse têtes entre autres, ce sont des objets extraordinaires. J’ai un casque de guerre en plumes de Papouasie-Nouvelle-Guinée que les guerriers mettaient derrière leur nuque pour se protéger des attaques. De même, j’ai un casque philippin que les guerriers mettaient sur leurs têtes, comme une casquette pour se protéger des attaques des bêtes. Mais les objets… C’est sans fin ! J’en ai des centaines et des centaines, et ça ne me lasse pas de les regarder !

J’ai un intérêt pour les objets de guerre ou de vie quotidienne : des ustensiles de cuisine, de chasse, des couteaux… En somme des choses qui n’étaient pas faites pour les musées, des objets courants.

Quel est pour vous le lien entre collection et voyage ?

Je crois que c’est indépendant. Je voyage quand et où j’ai envie. On ne trouve plus beaucoup d’objets quand on voyage à l’étranger ! Je ne parle pas des voyages qu’on peut faire à New York ou à Londres, mais quand on va en Nouvelle-Zélande ou en Nouvelle-Calédonie, on trouve des objets dans les musées, mais on n’en trouve plus chez les Antiquaires, ni chez les gens, et ceux qui en ont ne veulent pas les vendre. Le voyage permet de découvrir autrement. En Nouvelle-Zélande, c’est merveilleux, dans chaque village vous avez un petit musée avec des objets locaux, tous plus incroyables les uns que les autres ! Mais cela ne rejoint pas le collectionneur, car vous ne pouvez pas les acheter, vous ne pouvez que les admirer, que les voir. Je suis allé quatre fois en île de Pâques, il y a un très beau musée avec des objets locaux mais en dehors de ça vous n’avez rien, vous trouvez un artisanat mais vous ne trouvez plus aucune des pièces anciennes qui ont toutes été exportées et qui se retrouvent en France, en Allemagne, en Angleterre ou aux USA. Il n’y a pas moyen d’acheter une pièce ancienne à l’île de Pâques.

Donc vous achetez plutôt dans les galeries en France ?

En France, en Angleterre ou aux USA oui. Souvent chez Anthony Meyer, Flak, du temps du père et maintenant du fils. Quand je suis parisien, je déambule rue des Beaux-Arts et rue de Seine avec un grand plaisir ! Je n’ai pas de préférence pour les galeries ou les ventes aux enchères, ca m’est égal, j’ai des coups de foudre pour un objet, point final. Ce qui compte c’est l’objet, sa qualité, l’attrait que je peux avoir pour lui ou que je n’ai pas.

Y-a-t-il une figure de collectionneur qui vous inspire ?

Je n’ai jamais pensé à ça ! Alors, à priori non, mais j’aimerais bien avoir la fortune des Barbier Mueller et leur collection…

Souhaitez vous continuer votre collection dans les années à venir ?

Je continue, c’est maladif !

Y a il un objet ou un ouvrage qui vous manque et que vous voudriez absolument avoir dans votre collection ?

Je continue à faire à l’intuition, avec ce qui se présente. Je ne suis pas en recherche désespérée d’un objet particulier… Je suis raisonnable, je ne cherche que ce que je trouve !

Qu’est ce qui préside la décision d’acheter un ouvrage ?

Plutôt le contenu, surtout les cartes, les récits de voyage ou les journaux de marine par exemple. J’ai beaucoup de manuscrits parce que je trouve que c’est quelque chose de vrai, de naturel, ça a été écrit par des marins sur le bateau au moment où ils découvraient les lieux. Je ne m’intéresse pas particulièrement aux auteurs, sauf à tous les grands livres connus : je ne peux pas passer à côté d’un Cook sans le regarder, le lire, m’y intéresser et bien sur l’acheter. Mais j’ai aussi beaucoup de livres qui sont absolument inconnus et qui sont des récits de voyage qui me plaisent à moi.

Quand vous lisez les livres, vous les lisez en entier ou vous picorez ?

Quand j’étais plus jeune et que j’achetais peu, je lisais tout. Mais, au fur et à mesure, j’ai acheté plus et j’avais moins de temps. J’ai lu beaucoup moins. Je feuillette, de temps en temps, je prends un livre et je regarde. Maintenant j’ai du temps donc je lis un peu plus. Et avec le temps je suis devenu un peu plus respectueux des livres que ​je ne l’étais quand j’étais jeune ! Je ne manipule pas trop les livres du XVIIIème, du XVIIème ou du XVIème siècle. J’y fais très attention parce que c’est très fragile, mais je les lis facilement.

Un dernier mot ?

Eh bien écoutez… Je suis en tout cas content de voir que des jeunes s’intéressent aux collections, aux objets et à ces pays lointains, c’est porteur d’avenir !

Camille Graindorge & Margot Kreidl

Image à la une : sélection d’oeuvres (objets et ouvrages) de la collection Morin pour la vente Sotheby’s du 14 octobre 2020

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