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« Et une fois de plus, Viot repart pour les Tropiques » *

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Cet article a été écrit pour le catalogue de la troisième édition du Bourgogne Tribal Show, 2018.

      « Poète sans maison d’édition ni travail »1, Jacques Viot entre dans la sphère des galeries parisiennes et, plus particulièrement, du milieu surréaliste dans les années 20. Il représente alors des artistes comme Joan Miró. Mais après avoir travaillé pour plusieurs artistes et galeries et à force de dettes, Viot prend la mer pour rejoindre le Pacifique en 1926. De retour à Paris en 1928, Viot recontacte Pierre Loeb – galeriste parisien depuis 1924 – avec qui il avait travaillé avant son départ et lui propose de partir dans les mers du sud à son compte afin de rapporter des objets alors en vogue, notamment chez les surréalistes.

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Sculpture du lac Sentani, Jacques Viot, 1929, tirage sur papier baryté, musée du Quai Branly – Jacques Chirac, PP0004185. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac

        C’est en 1929 qu’un contrat entre les deux hommes est signé. Il stipule que Loeb donnera à Viot 6000 francs par mois hors frais de transport, que le voyage durera un an maximum (sauf renouvellement du contrat par Loeb lui-même) et qu’à son retour, Viot se verra faire une remise de dette par Loeb. En échange, Viot devra « expédier tous les objets d’Art sauvage recueillis au cours [de ses voyages] et [lui] en indiquer le prix exact payé ».2  Loeb avait par avance donné des indications à Viot sur le prix de base maximum auquel il pouvait acheter les objets dans les villages : 1/10ème du prix de l’Hôtel des ventes de Paris.3

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Le Lys, Lac Sentani, National Gallery of Australia, Canberra. Photographie : Béatrice Bijon

        En arrivant dans la région du Lac Sentani, Jacques Viot découvre que les populations sont déjà sous la domination des missionnaires et qu’une grande partie des objets « traditionnels » a déjà disparu. Selon ses dires, Viot crée une relation de confiance avec les anciens et les sorciers du village qui vont lui permettre d’avoir accès au graal : les sculptures « perdues » du lac Sentani.4 Les hommes du village sont alors allés extraire du lac « une représentation de leurs âmes »5, une figure faite d’une seule pièce de bois qui devait être la partie supérieure d’un pilier de maison des hommes que Viot décide d’appeler Le Lys.

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Max Ernst, Les Asperges de la lune, 1935.

      Comme les autres trouvailles de Viot à Sentani, Le Lys a traversé les mers pour rejoindre la galerie de Pierre Loeb à Paris. Ce dernier raconte comment, à l’intérieur d’une boîte extrêmement lourde, il découvrit un chef-d’œuvre : Le Lys. Cette sculpture allait devenir la nouvelle star de son époque. À son retour de Nouvelle-Guinée, Viot aide Loeb à exposer les sculptures et divers objets qu’il a rapportés du Lac Sentani. La première exposition à dévoiler Le Lys au tout Paris s’est, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, déroulée à la Galerie Pierre Colle en janvier 1933. Elle n’est pas très bien accueillie par la critique, mais cela n’empêchera pas pour autant le Lys de se faire connaître des amateurs par la suite. En effet, plus tard lors de cette année 1933, cette même sculpture est exposée à la maison de Louis Carré par ce dernier et Charles Ratton. C’est certainement lors de cette deuxième exposition que les Surréalistes se sont entichés de ces ancêtres du Lac Sentani. C’est la même année que Man Ray emporte la sculpture dans son studio de la rue Campagne Première afin de la photographier sous plusieurs angles, comme le témoignent des négatifs sur plaque de verre aujourd’hui conservés au Centre Pompidou à Paris. Elle continuera d’être une inspiration pour de nombreux artistes comme Max Ernst qui réalisa Les Asperges de la Lune en 1935. Mais la vie du Lys à Paris se termine par son acquisition par l’artiste Jacob Epstein qui vit alors à Londres. Quant à Viot, dorénavant séparé de ce qui a peut-être été la plus grande découverte de sa vie, il va se tourner progressivement vers le cinéma pour devenir scénariste.

Clémentine Débrosse

Image à la une : Le Lys, Lac Sentani, National Gallery of Australia, Canberra. Photographie : Béatrice Bijon

Le titre est une citation de PELTIER, P., In LEE-WEBB, V., (ed.), 2011. Ancestors of the Lake: Art of Lake Sentani, and Humboldt Bay, New Guinea. New Haven, Conn., Yale University Press, p. 50.

1 LOEB, P., Cited in LEE-WEBB, V., (ed.), 2011. Ancestors of the Lake: Art of Lake Sentani, and Humboldt Bay, New Guinea. New Haven, Conn., Yale University Press, p. 96.

2 LOEB, P., Cited in LEE-WEBB, V., (ed.), 2011. Ancestors of the Lake: Art of Lake Sentani, and Humboldt Bay, New Guinea. New Haven, Conn., Yale University Press, p. 50.

3 LOEB, P., Cited in LEE-WEBB, V., (ed.), 2011. Ancestors of the Lake: Art of Lake Sentani, and Humboldt Bay, New Guinea. New Haven, Conn., Yale University Press, p. 50.

4 VIOT, J., Cited in LEE-WEBB, V., (ed.), 2011. Ancestors of the Lake: Art of Lake Sentani, and Humboldt Bay, New Guinea. New Haven, Conn., Yale University Press, p. 51.

5 VIOT, J., Cited in LEE-WEBB, V., (ed.), 2011. Ancestors of the Lake: Art of Lake Sentani, and Humboldt Bay, New Guinea. New Haven, Conn., Yale University Press, p. 51.

Bibliographie :

  • LEE-WEBB, V., (ed.), 2011. Ancestors of the Lake: Art of Lake Sentani, and Humboldt Bay, New Guinea. New Haven, Conn., Yale University Press.
  • GREUB, S., (ed.), 1992. Art of Northwest New Guinea. New York, Rizzoli.

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